Résistance pédagogique : voici pourquoi nous avons d'ores et déjà remporté une bataille

Le 29 juin 2009

Résistance pédagogique : voici pourquoi nous avons d'ores et déjà remporté une bataille

 

par le mouvement des enseignants du primaire en résistance pédagogique fédérés en réseau par le blog Résistance pédagogique pour l'avenir de l'école

 

Le moment est venu de faire un premier bilan, à chaud, d'une année pas tout à fait comme les autres. Une année de mise en œuvre des « réformes » qui ont mis à mal l'esprit de l'école publique, désorganisé des équipes enseignantes, instillé le doute et parfois l'abattement de nombreux enseignants. Mais aussi une année exceptionnelle de contestation où des milliers d'enseignants du primaire sont entrés, pour la première fois, en désobéissance pédagogique ouverte.

 

Car le fait majeur, inédit, de cette année est incontestablement l'émergence d'un mouvement de résistance pédagogique qui s'est affiché au grand jour et de façon autonome. Ce mouvement spontané, organisé en réseau grâce à internet, sur la base notamment de la publication de lettres personnelles, puis collectives, de désobéissance, a pris à contre-pied à la fois la hiérarchie et les syndicats. Au fil des mois, il a montré toute sa vigueur, sa créativité, son endurance et sa force, au point que le blog Résistance pédagogique qui fédère ce mouvement, est devenu l'un des plus visités de la galaxie contestatrice chez les enseignants du primaire.

 

L'idée forte que nous avons réussi à faire passer et qui restera désormais ancrée dans les esprits est que le fonctionnaire enseignant a, au nom de sa conscience et de sa raison, le devoir de ne pas obéir inconditionnellement aux ordres, aux lois, aux décrets et aux dispositifs pédagogiques qu'il juge contraires à son éthique et ses convictions. A travers le mot « désobéisseur » qui s'est imposé d'emblée dans les débats et les médias, il y a cette idée d'une désobéissance lucide, responsable, motivée en conscience et qui assume les conséquences de ses actes. Il y a l'idée d'une désobéissance en tant que lutte collective susceptible de créer de nouveaux rapports de force avec le pouvoir.

 

Désobéir n'est pas un « caprice », comme nous l'avons parfois entendu, mais un acte authentique de résistance, qui porte l'exigence d'une démarche personnelle et collective :

 

-  Ne pas trahir sa conscience et son rôle d'enseignant en refusant d'appliquer des dispositifs pédagogiques qui constituent un reniement des valeurs profondes auxquelles nous sommes attachés, ce qui veut dire de continuer à travailler selon ses convictions, sans se renier, dans l'intérêt de tous les élèves.

 

-   Rendre impossible l'application des réformes contestées. Le pouvoir a besoin de la collaboration active des enseignants pour que les réformes soient une réalité dont il peut se prévaloir. La non-collaboration massive est une action collective qui se fixe pour objectif de neutraliser ces réformes détestables.

 

Affirmer que ce mouvement de désobéissance n'est pas syndical parce qu'il procède d'un engagement personnel, considérer la désobéissance civile comme une démarche individuelle alors qu'elle est essentiellement une action collective sont des mauvais procès qui cachent mal un embarras face à une action certes « syndicalement incorrecte », mais exigeante dans sa radicalité et potentiellement puissante dans sa capacité à créer une pression forte et durable sur le pouvoir. La résistance pédagogique est un levier qui agit directement en direction du politique en ce qu'elle porte des valeurs et des exigences d'une école au service d'une société juste et solidaire.

 

Nous avons obtenu le soutien massif des parents d'élèves et cela est décisif. Partout où les enseignants en désobéissance se sont affichés, ils ont été soutenus par les parents d'élèves, de la classe, de l'école et au-delà. La FCPE a régulièrement pris position en faveur des désobéisseurs. Les parents d'élèves ont écrit aux inspecteurs d'académie qui sanctionnaient les enseignants désobéisseurs. Ils ont participé aux collectes pour alimenter les caisses de solidarité. Nous avons réussi à rendre populaire, à notre échelle, un mouvement de résistance pédagogique souvent perçu comme une réponse adaptée à une situation de déconstruction du service public d'éducation.

 

En terme d'image, nous avons également marqué un point important. Celui de ne pas être catalogués sur le registre d'un mouvement seulement contestataire, « extrémiste » ou « gauchiste », malgré les efforts du ministère pour accréditer cette thèse. Nous sommes apparus comme des enseignants consciencieux et responsables, soucieux de la réussite de tous les élèves, investis sur le terrain pédagogique et prêts à prendre des risques pour défendre une certaine idée de l'école. Qui plus est, nous nous sommes d'emblée inscrits dans un mouvement qui veut porter des propositions et des projets alternatifs. Le « programme constructif » est en effet la face positive de la désobéissance civile que Martin Luther King aimait nommer « contestation créatrice ».

 

Seulement une cinquantaine d'enseignants sur 3 000 désobéisseurs ont été sanctionnés par des retraits de salaire plus ou moins importants. Le caractère parfaitement arbitraire et discriminatoire des sanctions traduit un embarras certain de l'administration à l'égard de cette action inédite. Certains IEN n'ont pas fait remonter les lettres de désobéissance et ont « protégé » les enseignants désobéisseurs. Lorsque les IA ont fait pression sur les IEN pour « traquer » les désobéisseurs, la chasse a donné de maigres résultats : soit les IEN validaient les projets alternatifs, soit ils fermaient les yeux… L'essentiel était pour eux que les IA ne soient pas informés de l'existence de désobéisseurs dans leur circonscription. Et tout le monde était satisfait…

 

Nous n'avons pas cédé face aux sanctions financières décidées par l'administration et cela a été déterminant dans la dynamique de notre action. Le pouvoir espérait faire plier les enseignants en touchant à leur portefeuille. Il doit se rendre à l'évidence, il a échoué dans cette tentative. Les désobéisseurs sanctionnés ont tenu bon ! La mise en place de caisses de solidarité a permis non seulement de rendre dérisoires les retraits de salaire, mais a donné une dimension collective à notre action car de la France entière et même de territoires lointains, des parents, des enseignants, des retraités, des résistants, des centaines de citoyens attachés à l'école publique nous ont aidé à la défendre en nous envoyant une partie de leur salaire ou de leurs revenus. Qu'ils en soient chaleureusement remerciés ! Cette répression disproportionnée et choquante s'est d'ailleurs le plus souvent retournée contre les inspections académiques, car elle a contribué à populariser le mouvement des enseignants désobéisseurs, à susciter le soutien des syndicats et plus largement des citoyens à notre démarche. Il n'en reste pas moins que des enseignants isolés ont vécu difficilement cette épreuve. Pressions, intimidations, menaces, sanctions, c'est collectivement que nous devons apprendre à y faire face. C'est pourquoi l'organisation de collectifs locaux d'enseignants en résistance et de collectifs parents/enseignants ont été bien souvent des espaces de solidarité, de soutien et d'initiatives pour permettre à la lutte de se consolider et de s'étendre, malgré la répression.

 

Nous sommes également parvenus à susciter l'intérêt des médias locaux et nationaux à notre action et donc à la cause de l'école publique en danger. La plupart des articles et des reportages nous ont été favorables. Bien évidemment, nous aurions pu espérer une couverture médiatique plus importante, à la hauteur de l'enjeu de cette résistance. La voix des enseignants du primaire n'a pas le prestige des enseignants du secondaire, des universitaires ou des chercheurs, mais la radicalité, l'audace de la démarche engagée et le nombre d'enseignants désobéisseurs méritaient probablement un meilleur traitement.

 

Nous avons obtenu des soutiens de plusieurs personnalités du monde éducatif à notre démarche, notamment Philippe Meirieu, Hubert Montagner et André Ouzoulias. Des personnalités politiques comme Jack Lang, des députés, des maires ont publiquement soutenu les enseignants en résistance. Des Résistants comme Stéphane Hessel et Raymond Aubrac ont apporté leur caution à ce mouvement au nom des valeurs portées par le Conseil National de la Résistance.

 

Nous avons interpellé les syndicats et engagé le dialogue, localement, malgré des divergences un peu trop rapidement affichées par certains d'entre eux à l'égard de la désobéissance. Si nous n'avons pas réussi à convaincre cette année les syndicats majoritaires de reprendre à leur compte l'action collective de désobéissance, comme l'a fait Sud Education depuis le début. Nous avons néanmoins réussi à faire bouger quelques lignes, notamment chez le syndicat majoritaire, le SNUipp, qui envisage, parmi les actions à venir, le « boycott » de l'aide personnalisée à la rentrée. Le boycotte sera bien sûr une action de désobéissance pédagogique.

 

Cependant, la question à laquelle doivent répondre les syndicats qui veulent encore se battre contre ces « réformes » est double :

 

-          Avez-vous réellement la volonté de neutraliser les lois qui déconstruisent le service public d'éducation ?

 

-          Si oui, quels sont les moyens d'action que vous allez mettre en œuvre pour construire un véritable rapport de force avec le pouvoir ?

 

Au nom de ces deux questions et au vu du bilan plus que décevant de leur action de cette année, les syndicats ne peuvent aujourd'hui échapper au débat sur la nécessité de revisiter leur logiciel de résistance. La désobéissance civile et pédagogique ne peut plus être balayée d'un revers de main par des arguments plus ou moins fallacieux et injustes. Elle doit devenir le débat autour duquel se structurent les futures résistances que l'on ne veut pas perdre.

 

Si nous n'avons pas réussi - et comment aurait-il pu en être autrement sans le relais des syndicats - à créer un mouvement plus massif de résistance pédagogique, nous avons néanmoins réussi à enfoncer un coin dans le dispositif de l'aide personnalisée dont le Ministère pensait qu'il serait appliqué avec notre approbation, au nom de l'objectif louable de l'aide aux élèves en difficulté.

 

Nous avons également réussi à contester sérieusement les évaluations nationales, avec l'engagement du syndicat majoritaire, par la désobéissance (refus de passation totale ou partielle, refus de remontée). 22% de non remontées sur les évaluations CM2 et combien d'évaluations partielles sur les 78% qui sont remontées ? Appliquée de façon massive, la désobéissance pédagogique est une arme imparable. Elle abolit de fait le dispositif contesté, sans que l'administration puisse avoir une quelconque prise, même  par la répression qui devient impossible à grande échelle.

 

Nous avons introduit un débat majeur sur la question de la légitimité de la désobéissance civile en démocratie. Les enseignants désobéisseurs considèrent bien évidemment qu'il est de leur devoir d'accomplir leurs missions avec loyauté dans le respect de la réglementation en vigueur. Mais lorsque des lois et des décrets contreviennent à l'esprit de justice et d'équité, ils affirment que c'est un devoir d'y désobéir. Ainsi, le démantèlement du service public d'éducation méthodiquement organisé par les « réformes » successives du Ministère constitue une injustice profonde qui justifie une action de résistance par la non-collaboration.

 

Malheureusement, notre action n'a pas toujours été bien comprise, même par ceux qui contestaient les contre réformes de Xavier Darcos. Il nous reste un grand travail d'explication sur les raisons qui légitiment aujourd'hui la résistance par la désobéissance pédagogique. Rappelons-en quelques-unes, elles seront encore à l'ordre du jour à la rentrée :

 

  • La plupart des « réformes » ont été imposées à la profession sans une concertation digne de ce nom. Les projets du gouvernement concernant l'école primaire sont passés en force, sans débat, souvent par décret du ministre. L'esprit de la démocratie a été malmené dans cette affaire.

  • Nous n'avons pas été entendus, au printemps 2008, lorsque nous avons massivement contesté par la voie légale les « réformes » que nous devons appliquer aujourd'hui. A nos mobilisations et nos revendications par les grèves, les manifestations et les pétitions, le ministre a opposé tantôt le mépris, tantôt le silence.

  • Certains dispositifs (nouveaux programmes, aide personnalisée, évaluations nationales) constituent des éléments structurants de la mise en place d'un esprit de compétition entre les élèves, les enseignants et les établissements scolaires. Ils portent également atteinte à notre liberté pédagogique qui est pourtant un principe réaffirmé dans les textes du gouvernement. Ils heurtent profondément la conscience de nombre d'enseignants qui ne peuvent se résoudre à les appliquer car ce serait tout simplement se renier.

  • Le dispositif de l'aide personnalisée qui a été au centre de l'action de désobéissance, n'a pas pour objectif d'aider les élèves en difficulté, mais de justifier la disparition de centaines de postes du RASED, effective dès la prochaine rentrée. Cette injustice qui va aggraver la situation des élèves en difficulté légitime à elle seule une résistance par la désobéissance, tout particulièrement en refusant d'appliquer réglementairement l'aide personnalisée sur le temps hors scolaire et en mettant en œuvre des projets alternatifs pour l'ensemble des élèves.

  • Cette désobéissance pédagogique est affichée au grand jour auprès de notre hiérarchie, notamment par l'envoi de lettres. Elle est publique, professionnelle et désintéressée. Elle a vocation à montrer la force de conviction des enseignants en résistance qui parfois paient le prix fort pour leur action alors qu'ils assurent l'intégralité de leur service auprès des élèves.

Nous avons également montré que cette désobéissance est responsable car elle s'accompagne de la mise en œuvre de projets pédagogiques alternatifs qui visent à donner mieux à l'ensemble des élèves en difficulté, à leur permettre de retrouver confiance en eux-mêmes, à donner du sens aux apprentissages et à valoriser l'esprit de coopération et de solidarité au sein de la classe. Désobéir ne signifie pas mal faire son travail, mais l'accomplir autrement en mettant tout en œuvre pour répondre aux missions qui nous ont été confiées.

 

Nous avons cependant encore une grande bataille à mener vis-à-vis de l'opinion publique face à la désinformation du pouvoir à notre encontre. Celui-ci n'hésitera pas à user de tous les stratagèmes pour nous discréditer et nous affaiblir. La répression pourrait être encore plus sévère, notamment sur le plan disciplinaire. A nous de faire en sorte qu'elle soit politiquement risquée pour le pouvoir en suscitant davantage de solidarité et de soutien à notre démarche.

 

Ce mouvement de résistance pédagogique n'en est qu'à ses débuts. Il lui reste à se structurer pour entretenir une lutte qui, sur le long terme, portera ses fruits. Nous ne pouvons nous permettre de lâcher prise face à cette entreprise de démolition programmée de l'école publique. En conscience, nous savons que nous ne laisserons pas le dernier mot à la fatalité du désespoir. Car résistance rime avec espérance.



29/06/2009
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