Avis sur les procédures d'évaluation des élèves de l'école élémentaire en CE1 et en CM2 par Hubert Montagner
Soucieux du développement de l'enfant au fil de l'âge dans ses différents lieux de vie et d'éducation (parfois de soins), y compris à l'école primaire, j'ai pris connaissance des conditions dans lesquelles les évaluations scolaires avaient été réalisées au milieu de l'année scolaire 2008-2009 dans les écoles de la FRANCE. Pour un scientifique (on peut élargir à l'ensemble de la communauté scientifique sans risquer de se tromper), il est clair que les résultats des évaluations effectuées avec des élèves de CE1 ou de CM2 n'ont pas de valeur ni de crédibilité. En effet, ils ne peuvent conduire à des conclusions fiables qui aboutissent à une connaissance réelle du comportement, des performances et du niveau des élèves, quelle que soit la classe, à cause des biais multiples qui entachent les résultats. On peut ainsi souligner les plus évidents :
1. une évaluation-bilan au cours d'une année scolaire ne peut avoir de signification et de sens que si elle permet de comparer chaque enfant à lui-même et à ses pairs de la même classe dans des situations et environnements identiques, à deux moments au moins de l'année scolaire et séparés par un intervalle suffisant pour cerner au mieux les évolutions temporelles qui peuvent être liées à l'âge, aux processus de développement, à la dynamique des constructions cognitives, à un changement de pédagogie, à des apprentissages de différente « nature » et complexité … Si on affirme qu'elle peut être utile et porteuse d'informations, une évaluation-bilan crédible pourrait être organisée par exemple au début et à la fin de l'année scolaire. Le premier moment pourrait être la mi-octobre alors que les enfants-élèves sont bien "installés" dans leur classe depuis environ un mois, qu'ils sont désormais familiarisés au maître et à sa pédagogie, mais aussi aux pairs, et qu'ils ne sont pas encore trop fatigués par les « rythmes scolaires » qui leur sont imposés. Un deuxième moment pourrait se situer au mois de mai ou au début de juin, avant que les enfants ne soient intellectuellement « saturés » par la succession des journées scolaires les plus longues, stressantes et épuisantes du monde, et qu'ils ne soient démobilisés à l'approche des vacances d'été. On pourrait alors mieux cerner à six-sept mois d'intervalle les progressions, « désorganisations », "régressions", "paliers", fluctuations ... des comportements et "performances" des différents enfants dans telle ou telle "matière" en fonction de l'âge, du développement individuel, des constructions cognitives, des acquisitions successives … mais aussi des événements survenus entre les évaluations (changement de maître, changement de méthode pédagogique, problèmes familiaux, maladie, facteurs climatiques et saisonniers ...). Or, au cours de l'année scolaire 2008-2009, il n'y a eu qu'une seule tentative d'évaluation. Sans aucune justification ou explication sérieuse, elle a été programmée arbitrairement en plein hiver au milieu de l'année scolaire. Le choix de ce moment ne repose sur aucune hypothèse crédible, ou alors il faudrait le comparer au début et à la fin de l'année scolaire. Ce qui, bien évidemment, n'est pas souhaitable ni réalisable ;
2. Comme dans tout processus d'évaluation, une évaluation-bilan ne peut conduire à des résultats comparables selon que les « tests », « tâches », « exercices » … sont organisés à tel ou tel moment de la journée. La recherche scientifique a en effet largement démontré que, dans toutes les classes d'âges explorées de la petite enfance au CM2 de l'école élémentaire, le niveau de vigilance, les capacités d'attention, la réceptivité, la disponibilité, les comportements et les capacités de traitement de l'information varient d'un moment à l'autre de la journée. Par exemple, ils ne sont pas les mêmes à 09h00, 11h00, 14h00 et 16h00. Or, si on se fonde sur les informations transmises par les écoles, les « épreuves » ont été organisées à n'importe quelle heure … quand elle est précisée. Globaliser les résultats sans tenir compte de l'heure de « passation », est une supercherie. En outre, ils ne sont pas les mêmes au cours des différents jours de la semaine. On peut faire l'hypothèse forte que, si on avait tenu compte de cette évidence, les résultats auraient été différents si les évaluations s'étaient déroulées un lundi, un mardi, un jeudi ou un vendredi, le matin ou l'après-midi. Les enfants-élèves ne sont pas des machines également disponibles et « performantes » aux différents moments de la journée, de la semaine … et de l'année ;
3. puisqu'il s'agit de procéder à de nouvelles évaluations nationales, comment pourrait-on comparer l'année 2008-2009 à l'année 2007-2008, alors que les consignes, conditions et environnements n'ont pas été les mêmes ? Il en sera de même pour la comparaison éventuelle entre l'année 2008-2009 et l'année 2009-2010. Dès lors, comment pourrait-on conclure à une amélioration ou une dégradation des « résultats scolaires » d'une année à l'autre, à deux ou trois années d'intervalle, tous les dix ans …? A moins qu'il n'y ait des manipulation des résultats en fonction des objectifs fixés par le Ministère de l'Education Nationale ?;
4. on m'a rapporté que les conditions des passations au cours de l'évaluation-bilan de l'année 2008-2009 (consignes, durée, mutisme du maître ou explications complémentaires, corrections des fautes par le pédagogue ou non ...) ont été très variables d'une classe ou d'une école à l'autre. Au point que personne ne peut les définir avec un minimum de rigueur, notamment dans le cadre éventuel d'un document officiel du Ministère de l'Éducation Nationale qui vaudrait pour tout le territoire national. En outre, comment pourrait-on comparer les passations complètes aux passations partielles ? Comment pourrait-on comparer les « performances » des enfants « lents » à celles des enfants qui réagissent sans délai aux attentes et directives du maître, surtout dans une situation nouvelle. Il leur faut en effet plus de temps pour mobiliser leurs capacités d'attention, pour traiter l'information, pour organiser une ou plusieurs réponses, pour réaliser la « tâche» … alors que leurs mécanismes et processus cognitifs peuvent être tout aussi fonctionnels, et que leurs constructions intellectuelles sont comparables. Enfin, à partir de quels critères et données les tests, tâches, exercices … ont-ils été choisis ou élaborés ? Tout cela n'est pas sérieux. C'est la crédibilité des évaluations organisées par la France au sein de l'école qui se trouve engagée, en particulier aux yeux des organismes européens et autres qui s'efforcent d'objectiver les résultats des écoliers à l'école élémentaire ;
5. On m'a également rapporté que des résultats ont été falsifiés ou "inventés", parfois à la demande des Inspecteurs de circonscription, parfois par les Inspecteurs eux-mêmes ... pour satisfaire les attentes de la hiérarchie, en l'occurrence l'inspecteur d'académie, les technocrates du Ministère qui ne connaissent pas les exigences d'une évaluation vérifiable et rigoureuse, et le Ministre lui-même. Je ne peux croire que cela soit vrai.
Tout concourt à la conclusion que les évaluations-bilans sont des opérations fausses qui ne veulent "rien dire", à moins qu'elles ne cachent des arrières pensées politiques. C'est indigne de prendre les élèves en otage, de tromper leur famille et de créer le trouble dans les familles et à l'école avec des comparaisons inévitables des résultats obtenus par les différents enfants de la même classe ou d'une autre classe. C'est indigne de dénaturer les missions des enseignants. L'Éducation Nationale se déshonore en organisant une mascarade, ou en la couvrant, et en sanctionnant les professeurs des écoles qui ne veulent pas se prêter à un jeu indigne, à la fois parce qu'ils ont leur conscience de professionnel et d'humaniste pour eux, et parce qu'ils n'ont pas besoin d'une évaluation formelle pour connaître les acquisitions ou déficits cognitifs de chaque enfant, ses capacité de mobilisation des ressources intellectuelles et les insuffisances ou freins qui l'empêchent de comprendre et d'apprendre. En outre, un nouveau fichier informatique est objectivement constitué et donc accessible à tous pour « étiqueter », « cataloguer », voire « stigmatiser » les enfants … les familles et les écoles. Transmis à la hiérarchie de l'Education Nationale, il pourra être ouvert par d'autres personnes et d'autres Administrations, puis « exploité » à des fins politiques.
Avec les évaluations-bilans, l'école perd un peu plus de son âme, de sa crédibilité et de son humanité. Il est temps de refonder l'école pour qu'elle ne "marche plus sur la tête".
Professeur des Universités en retraite, ancien Directeur du Laboratoire de Psychophysiologie de la Faculté des Sciences et des Techniques de Besançon, ancien Directeur de Recherche à l'INSERM et ancien Directeur de l'Unité 70 "Enfance Inadaptée" de l'INSERM, j'ai une expérience de plus de trente cinq ans dans la conduite d'études longitudinales avec des enfants de différents âges. Dans ce cadre, mes collaborateurs et moi-même avons élaboré et mis en oeuvre des démarches, méthodes, protocoles et techniques reproductibles d'un jour à l'autre, d'une semaine à l'autre, d'un mois à l'autre … et vérifiables par d'autres équipes de recherche. Ces études ont permis notamment d'objectiver, de quantifier et d'évaluer à différents moments de l'année, et d'une année à l'autre, les comportements, interactions, systèmes de communication, rythmes et modalités de traitement de l'information chez des enfants accueillis à la crèche, à l'école maternelle ou à l'école élémentaire, à la fois dans leurs différents lieux de vie (domicile familial, structures éducatives…-), et dans des situations contrôlées de « laboratoire ». Pour plus de précisions, on peut consulter les articles publiés dans différents périodiques internationaux à comité de lecture, et donc validés par des pairs.