Pour en finir avec les évaluations nationales, imposture pédagogique et instrument au service d’une école de la compétition, par Alain Refalo

Enseignant du primaire, auteur de l’ouvrage  En conscience, je refuse d’obéir. Résistance pédagogique pour l’avenir de l’école, Editions des Ilots de résistance, 2010

 

Publié dans le Café pédagogique, 4 janvier 2011

 

Durant la semaine du 17 au 21 janvier, pour la troisième année consécutive, les élèves de CM2 sont conviés à passer des évaluations nationales en Français et en mathématiques. Malgré les changements promis, elles ressembleront peu ou prou aux deux précédentes éditions qui avaient été particulièrement contestées. Aucune modification majeure n’est annoncée et là est sans doute la surprise. Une concertation a bien été amorcée au mois de juin dernier pour amorcer des évolutions, mais rien n’en est encore sorti.

 

Pourtant, au mois d’octobre 2009, un groupe de travail parlementaire UMP avait étudié les différentes pistes d’améliorations possibles. Le rapport de ce groupe présidé par Alain Marc et Xavier Breton, publié le 20 octobre 2009, reconnaissait qu’ « une concertation approfondie avec l’ensemble des acteurs est indispensable » car elle a fait « assez largement défaut ». Plus fondamentalement, le rapport pointait l’ambiguïté des évaluations CM2 au mois de janvier car situées à mi-chemin entre « les évaluations bilan visant à mesurer le degré d’acquisition des connaissances » et « les évaluations diagnostiques en vue d’une remédiation », ce que précisément tous les enseignants avaient dénoncé, et préconisait « une clarification des objectifs poursuivis ». La préférence des rapporteurs penchait pour une évaluation diagnostique en début d’année de CM2, « sur des points du programme déjà abordés au cours de l’année scolaire précédente », ce qui relève en effet du bon sens pédagogique...

 

Le rapport soulignait que « le contenu, le calendrier ou encore le système de notation ont fait l’objet de critiques parfois justifiées ». Il ne fallait donc pas désespérer… Lorsque les députés UMP valident les critiques formulées par les enseignants du primaire en résistance, cela mérite d’être salué ! Le groupe de travail proposait enfin de « mettre en place un système indépendant chargé de l’évaluation du système éducatif, en remplacement des organismes ou directions centrales en charge de cette mission ». Il faut savoir que le ministère a régulièrement bloqué la publication des travaux des chercheurs de la DEPP, Division des Etudes et de la Prospective du ministère, car ils ne correspondaient pas à ses attentes ou à ses objectifs politiques.

 

 Il appartenait donc au ministre Luc Chatel de réorienter l’esprit et la méthode de ces évaluations nationales selon les propositions des deux députés de la majorité. A ce jour, il n’en a rien fait, et les évaluations de cette année sont finalement conformes à celles voulues par Xavier Darcos dès la fin de l’année 2007.

 

Evaluer pour contrôler, mesurer et comparer

 

Dans un document d'orientation en date du 21 novembre 2007, l’ancien ministre présentait le nouveau dispositif des évaluations nationales comme un moyen "de connaître et de faire connaître quels sont les acquis des écoliers français à des moments clefs de leur scolarité, notamment par rapport aux pays comparables. C’est pourquoi seront créées deux évaluations nationales témoins qui serviront à mesurer les acquis des élèves au CE1 et au CM2 […] Elles seront construites à partir des connaissances et des compétences légitimement attendues à ces niveaux de la scolarité […] Elles seront menées au milieu de l’année scolaire afin que les professeurs des écoles aient le temps nécessaire pour organiser leur enseignement. Leurs constats seront rendus publics et permettront d’apprécier l’évolution de la réussite du système éducatif. […] Le niveau obtenu lors de ces évaluations, mais surtout les progrès accomplis par les élèves et mesurés par ces évaluations constitueront le véritable indice de réussite de la politique scolaire".  En même temps, il annonce que "l’évaluation des professeurs des écoles doit être redéfinie : pour ne plus s’attacher seulement à la méthode pédagogique de l’enseignant mais intégrer les progrès des élèves". Et une prime de 400 euros sera octroyée aux enseignants de CE1 et de CM2 qui auront fait passer ces évaluations et fait remonter les résultats par le fichier informatisé du ministère.

 

En quelques phrases étaient concentrées l’esprit et la pratique de ces nouvelles évaluations nationales. Il s’agit désormais d’évaluer non pas pour aider, comme c’était le cas jusqu’à maintenant avec les évaluations diagnostiques en début d’année, mais d’évaluer pour contrôler, mesurer et comparer. Nous passons d’un système où l’élève était au centre des apprentissages à un système où ce sont les résultats des évaluations qui sont au centre de l’école ! La pédagogie n’est plus considérée comme l’outil indispensable qui conditionne la réussite des élèves, c’est l’évaluation chiffrée qui sera désormais l’étalon permettant de piloter le système éducatif. A terme, la « qualité » de la « pédagogie » sera détectée par nos inspecteurs en proportion de la progression des résultats chiffrés des élèves à des tests formatés et réducteurs. C’est ainsi qu’une culture de la performance et du résultat s’instaure, au détriment des vrais apprentissages, culture qui à terme servira à déterminer le « mérite » des enseignants et leur progression de carrière.

 

Il s’agit d’instaurer un cadre normatif et uniformisé censé s’imposer à tous les élèves et les enseignants. L’individu est désormais jugé en référence à ce cadre ; sa valeur dépendra de sa capacité à entrer dans un moule préfabriqué présenté comme objectif, rationnel et finalement indiscutable. Son avenir sera désormais indexé au niveau exigé par un catalogue d’items, de compétences directement utilisables pour son intégration dans le système économique marchand. L’enseignant, quant à lui, est désormais jugé à sa productivité, à son efficacité, à son rendement en regard de la norme établie par le pouvoir politique lui-même influencé par les lobbys économiques[1].

 

Un dispositif artificiel


La notion de « progrès » est ici associée à la progression des résultats chiffrés. La mesure du progrès se fera à partir de la comparaison de résultats à différents moments de l’année scolaire et d’une année sur l’autre. Cela a l’apparence du bon sens. Mais qui dit résultats chiffrés dit évaluation avec passation d’exercices écrits susceptibles d’une correction standardisée aboutissant à une note chiffrée. Une politique d’évaluation nationale qui vise à piloter le système éducatif a besoin de chiffres pour alimenter des statistiques qui serviront à faire de beaux graphiques et des commentaires toujours plus pointus par les hiérarques du ministère. L’objectif n’est pas d’obtenir des résultats susceptibles d’être exploités par l’enseignant pour aider notamment les élèves en difficulté, mais de donner l’illusion d’une rigueur scientifique, l’illusion d’un pilotage par les résultats. On ne peut mesurer avec du chiffre que ce qui est quantifiable.

 

A cet égard, le système de notation binaire (0 – 1) institué pour ces évaluations, et qui n’a pas fondamentalement été modifié, constitue une caricature qui rime avec imposture. Les exercices réalisés par les élèves sont codés 0 s’il est raté, 1 s’il est réussi. Pas de demi-mesure puisque les réussites partielles ne sont pas prises en compte. Soit l’élève sait, mais parfaitement et sans erreur, et dans ce cas son travail est noté 1, soit il sait, mais imparfaitement ou bien il ne sait pas et dans les deux cas, son travail est noté 0. S’il réussit 8 réponses sur 10, il aura 0. Non seulement ces résultats ne peuvent être utiles à l’enseignant, car trop sommaires, mais en plus ils ne peuvent être que désastreux pour l’élève en difficulté en l’enfonçant davantage dans son rôle de « mauvais élève ».

 

Nous savons que les résultats de ces évaluations ne sont et ne seront d’aucune valeur pour faire progresser les élèves. Ces évaluations, tant dans leur philosophie que leur méthodologie, n’ont d’ailleurs été validées par aucun comité d’expert, aucune expérimentation pédagogique, mais ont été condamnées par l’ensemble de la communauté éducative. Elles mélangent « évaluation bilan » et « évaluation diagnostique » en vue d’organiser une remédiation. Les conditions de passation d’une école à l’autre, d’une classe à l’autre, d’une année sur l’autre sont tellement différentes qu’aucune comparaison rigoureuse ne peut être établie. En réalité, ce dispositif d’évaluation n’est rien d’autre qu’un instrument artificiel au service du « pilotage » des écoles par les résultats tout autant artificiels.

 

Le comble de l’absurde a même été atteint au mois de mars 2010, à l’occasion de la restitution publique des résultats des évaluations passées en janvier 2010. Nous apprenions alors que les services du ministère avait dû procéder à une correction statistique pour assurer une comparabilité entre les évaluations de 2009 et celles de 2010 ! Le ministère reconnaissait « des défauts dans l’évaluation CM2 », en admettant que « les exercices proposés (sic) étaient beaucoup plus difficiles que l’an dernier ». Après les tripatouillages de 2009, pour « corriger » les remontées partielles des résultats, et qui furent dénoncés par un syndicat d’inspecteurs (SNPI-FSU), après le bidouillage de 2010 pour tenter de maintenir l’illusion d’un outil scientifique, qui peut encore douter que ce dispositif n’est qu’une honteuse mascarade ?

                                                  

Les nouveaux programmes, supports indispensable à une politique de l’évaluation chiffrée


Pour imposer cette culture de l’évaluation et du résultat chiffrés, il fallait rompre avec les anciens programmes de 2002. Ces derniers privilégiaient l’apprentissage par l’expérimentation, et la découverte par l’expérience. Ils refusaient le cloisonnement en disciplines et insistaient sur la transversalité des apprentissages. Les liaisons et les renvois d’un domaine à l’autre étaient encouragés. Les anciens programmes constituaient de ce point de vue une réelle innovation pédagogique qui avait des conséquences sur la définition de la politique d’évaluation nationale : « Le recensement systématique des compétences fournit la base des évaluations à chaque fin de séquence ou lors des grands rendez-vous qui rythment le déroulement de l'enseignement comme lors de l'évaluation des apprentissages de cycle 2 (en début de CE2). Ce renforcement des évaluations ne doit pas conduire à stigmatiser, à classer prématurément, à enfermer les élèves dans des catégories qui deviennent des destins ou, pire, à faire revivre des structures de relégation d'un autre temps. Ce sont des instruments qui aideront les maîtres à assurer la réussite de tous leurs élèves. Si elles enfermaient les plus fragiles dans leur échec, elles n'auraient pas rempli leur objectif. Il en est ainsi également des outils pour mesurer le progrès en langage des élèves à la fin d'école maternelle et au début d'école élémentaire. Plus que jamais, la seule règle est le regard positif porté sur l'enfant, même en extrême difficulté. Les maîtres doivent donc veiller à mettre en valeur les résultats déjà atteints plutôt que les manques, mesurer des évolutions plutôt que des niveaux, en déduire des stratégies pour assurer la réussite de chacun des élèves[2]. » Nous mesurons ainsi l’écart qui sépare désormais l’esprit et la pratique des nouvelles évaluations avec celles dont nous venons de rappeler les finalités et qui étaient bien acceptées par la profession.

 

Les nouveaux programmes ont été conçus pour accompagner la mise en place d’évaluations standardisées sous la forme de tests en batteries qui permettront de fournir des résultats chiffrés. Il s’agit ainsi de faire des élèves des « machines à exercices[3] », de les préparer au bachotage qui deviendra progressivement la base de la « pédagogie » de l’enseignant. Ces programmes privilégient un apprentissage segmenté en matières distinctes, avec des contenus spécifiques sans mise en lien d’une matière à l’autre. Aujourd’hui, la transmission du savoir est privilégiée au détriment du raisonnement. Le cours magistral revient à la mode alors que tout enseignant sait pertinemment que cela est impossible au risque de susciter le désintéressement, voire l’indiscipline des élèves. La philosophie des nouveaux programmes, c’est de privilégier l’apprentissage cognitif, la mémorisation, la leçon magistrale accompagnée d’exercices d’application. La leçon, la bonne vieille leçon, doit être suivie d’exercices répétitifs pour que « ça rentre ». Tant pis pour ceux chez qui ça ne rentrera jamais de cette façon. Ils auront encore le soutien scolaire, l’aide personnalisée et les stages de remise à niveau pendant les vacances scolaires pour se rattraper ! Ces nouveaux programmes qui tournent le dos aux pédagogies nouvelles sont les supports indispensables à une politique d’évaluation chiffrée extrêmement réductrice.

 

Le reniement de l’éthique éducative et pédagogique

 

Les conséquences de ce système d’évaluations sont catastrophiques et il n’est nul besoin d’être prophète pour anticiper les graves dérives qui menacent le métier d’enseignant à l’école primaire dans les années à venir.

 

1.               Nous allons privilégier, dans notre « enseignement » ce qui pourra être directement opérationnel pour ces tests, c’est-à-dire ce qui sera « utile » pour les élèves dans ces situations formatées d’évaluation. Nous allons préparer les élèves à répondre à des batteries de questions et d’exercices en un temps limité, ce qui reviendra à faire du « bachotage ». Par ailleurs, il n’est pas exclu que des parents d’élèves eux-mêmes « préparent » leurs enfants à ce bachotage, ce qui ajoutera au stress lié à ces évaluations. Nous sommes ici clairement dans un reniement de toute éthique éducative et pédagogique auquel il est demandé aux enseignants de se soumettre inconditionnellement.

 

2.               L’enseignant sera désormais jugé sur sa capacité à faire progresser non pas ses élèves, mais la courbe des résultats chiffrés des évaluations nationales. La présentation des nouveaux programmes ne dit pas autre chose : « La liberté pédagogique des enseignants va de pair avec de nouvelles modalités d’inspection des maîtres, davantage centrés sur l’évaluation des acquis des élèves ». Ainsi le mérite des enseignants sera proportionnel à la progression des résultats chiffrés des élèves de sa classe. La primauté est donnée à la performance individuelle au détriment du travail d’équipe, de la coopération entre collègues. Seule est valorisée la réussite d’un individu en dehors de tout cadre collectif. On entre alors dans un système de concurrence des uns contre les autres ; ce n’est plus l’effort collectif qui est valorisé, mais la débrouille individuelle. C’est la porte ouverte à tous les comportements déloyaux et égoïstes contraires à la notion de vivre ensemble que nous voulons promouvoir auprès des élèves.

 

3.               Cette concurrence entre enseignants sera inévitablement exacerbée si le projet de publication des résultats école par école est mis en œuvre. Car la véritable finalité de ce système de pilotage par les résultats est d’instaurer une concurrence entre les établissements scolaires. Il s’agit de déterminer quelles sont les « bonnes écoles » et les « mauvaises écoles », de susciter selon les énarques du ministère, l’émulation nécessaire pour accroître la performance et l’excellence… En réalité, avec la suppression de la carte scolaire, les parents choisiront l’école de leur enfant en fonction du classement de ces écoles dans le palmarès annuel qui sera publié par le Ministère. Chaque école sera ainsi sous pression et devra faire la preuve de son efficience, de sa qualité, de sa performance si elle veut attirer les parents et garder les moyens nécessaires à son fonctionnement.

 

Le livret de compétences, passeport pour l’emploi

 

Ces évaluations ne sont finalement qu’un prétexte pour adapter l’école aux principes et méthodes de l’entreprise. Les élèves devront faire la preuve de leur capacité à s’adapter au monde impitoyable du marché du travail. Comment ? Grace à l’instauration d’un « livret informatisé de compétences ». Ce livret qui est en cours d’expérimentation aura pour vocation de valoriser « leurs compétences, leurs acquis dans le champ de l’éducation formelle et informelle ainsi que leurs potentialités, leurs engagements et qui les aidera ainsi à mieux réussir leur orientation ». Les acquis de chaque élève, scolaires et hors scolaires, seront répertoriées dans ce livret. Ce bilan servira ensuite à l’orientation et donc à l’avenir professionnel. Ce livret de compétences sera un passeport pour l’emploi. La preuve, chiffrée et argumentée, de la capacité de chacun à s’insérer dans le monde du travail. Un outil pour permettre à chaque élève de se mettre en valeur, de se vendre. La finalité de l’enseignement s’éloigne davantage de l’éducation pour devenir de l’employabilité.

 

Nous sommes ici dans une vision utilitariste de l’éducation où tout doit être mesuré, évalué, classifié selon des normes censées s’imposer à chaque pays, à chaque école, en niant les spécificités, les particularités inhérentes à tout groupe humain réuni pour apprendre et progresser.  Cette politique est en phase avec la philosophie des évaluations internationales auxquelles se réfèrent constamment les ministres de l’Education Nationale. Les résultats de ces évaluations qui établissent un classement international des nations ont été utilisés par nos gouvernants pour justifier la politique des réformes actuelles. Or, la plupart des études et des enquêtes qui servent de base à ces classements, notamment celles qui proviennent de l’OCDE, considèrent qu’une politique éducative est efficace si elle assure, à moindre coût, un maximum de débouchés sur le marché de l’emploi. L’éducation est ainsi mesurée à l’aune de sa performance économique, ce qui convenons-en, oriente clairement le contenu des évaluations réalisées par cet organisme qui conseille par ailleurs les Etats sur les procédés à mettre en œuvre pour la mise en place d’un marché des services, notamment dans le cadre des Accords Généralisés pour la Commercialisation des Services (AGCS).

 

 

Les évaluations nationales, prétextes à la justification de dispositifs de soutien, cache-misères d’une politique régressive

 

En réalité, ces évaluations nationales sont des instruments au service d’une communication politique pour justifier des contre-réformes qui veulent prendre les attributs du progrès. Elles vont notamment être utilisées par le pouvoir pour justifier la mise en place de dispositifs qui se présentent comme des aides supplémentaires aux élèves en difficulté. Le gouvernement ayant renoncé à mettre en place une politique ambitieuse en faveur de l’école publique basée sur une formation pédagogique de qualité, initiale et continue, il propose des dispositifs « externalisés » pour les élèves en difficulté qui relèvent du saupoudrage et non pas d’une volonté de traiter au fond l’échec scolaire. Il en est ainsi du dispositif de l’aide personnalisée deux heures par semaine sur le temps scolaire non obligatoire et des stages de remise à niveau pendant les vacances scolaires.

 

Ces deux dispositifs ont été initiés, non pas dans l’objectif de proposer une aide efficace aux élèves en difficulté, mais pour organiser une propagande visant à hypnotiser l’opinion publique sur la volonté du ministère de lutter sérieusement contre l’échec scolaire. Il s’agit, selon le discours officiel, de donner plus et gratuitement à ceux qui en ont le plus besoin sans se préoccuper de l’efficacité réelle de ces dispositifs. On récupère les méthodes du soutien particulier qui fait le bonheur des officines privées pour les appliquer à l’école publique, en se vantant de donner plus et gratuitement aux élèves qui ne peuvent se payer des cours particuliers ! L’aide personnalisée deux heures par semaine sur du temps scolaire facultatif, justifiée par la suppression des postes d’enseignants spécialisée du RASED, tout comme les stages de « remise à niveau » ne remplaceront jamais une véritable pédagogie différenciée, un apprentissage à l’autonomie, des ateliers de coopération et d’échanges de savoirs et plus globalement une pédagogie du projet qui utilise et valorise les compétences de tous les élèves.

 

 

Le statut positif de l’erreur

 

L’erreur fait partie du processus d’apprentissage, elle n’est pas une faute. L’erreur de l’élève est un indicateur utile à l’enseignant qui l’utilise pour organiser des stratégies d’apprentissage adaptées dans le cadre d’une différenciation pédagogique. Daniel Favre, neurobiologiste et professeur en sciences de l’éducation, affirme que « dans les modèles où l’élève est acteur et construit ses connaissances,  l’erreur est considérée comme la base même de l’apprentissage[4] ». Mais il considère décisif aujourd’hui de « décontaminer l’erreur de la faute dans les apprentissages ». La faute, dans sa conception moyenâgeuse, est associée à une forme de culpabilisation qui engage la responsabilité de la personne. Trop souvent, l’erreur est associée à un sentiment désagréable, car elle est vécue comme une faute. Cette distinction entre l’erreur utile et la faute culpabilisatrice nous permet d’envisager une autre forme d’évaluation, appelée « évaluation formative » qui donne un statut positif à l’erreur.

 

Ainsi, Daniel Favre préconise de séparer deux logiques trop souvent confondues : la logique de contrôle et la logique de régulation. « Il nous paraît indispensable, écrit Daniel Favre, que les dispositifs pédagogiques établissent une distinction explicite entre des périodes d’apprentissage soumis à la logique de régulation et des périodes de vérification de l’acquisition de ces apprentissages soumis à la logique de contrôle. » Il propose que les périodes de contrôle aient lieu au moment où les élèves indiquent qu’ils sont prêts à être évalués, sachant que l’enseignant devra fixer une date butoir. Il s’agit alors de responsabiliser davantage les élèves en les impliquant dans la maîtrise de leurs apprentissages. Dans cette perspective, « compter les fautes » pour « noter », et « situer » les élèves, voire les classer, est une faute contre l’esprit de la pédagogie. Les évaluations nationales telles qu’elles sont conçues aujourd’hui n’échappent pas à ce jugement.

 

 

Pour des évaluations positives

 

Ce que ces évaluations ne mesureront jamais, ce sont les efforts fournis par un élève en difficulté, c’est la faculté à raisonner, s’exprimer, dialoguer, c’est la capacité d’imagination, de création, pourtant essentielle à tout progrès humain, ce sont les aptitudes à la coopération, au travail d’équipe, indispensables pour relever les défis complexes de demain. Comme l’a écrit très justement Philippe Meirieu, tout n’est pas quantifiable et mesurable en matière d’éducation. L’évaluation doit d’abord être au service des élèves, et permettre à l’enseignant de les utiliser, non pas pour classer et stigmatiser, et encore moins pour justifier une politique régressive, mais pour chercher des réponses les plus appropriées. C’est ainsi que nous parlerons davantage d’évaluation diagnostique et formative et même d’évaluation positive pour restaurer l’estime de soi, la confiance et le désir d’apprendre des élèves.

 

La voie de la sagesse commande de stopper cette logique infernale qui privilégie la performance à tout prix et la compétition au détriment du progrès pour tous, de la coopération et de la solidarité. Peu de voix malheureusement s’élèvent parmi les intellectuels et les scientifiques pour dénoncer cette dérive qui touche l’école. Le généticien et humaniste Albert Jacquard est l’une des rares personnalités à parler sagesse à l’école. Ecoutons-le : « "Réussir" est devenu l'obsession générale de notre société, et cette réussite est mesurée par notre capacité à l'emporter dans des compétitions permanentes. Il est pourtant clair que la principale performance de chacun est sa capacité à participer à l'intelligence collective, à mettre en sourdine son « je » et à s'insérer dans le « nous », celui-ci étant plus riche que la somme des je dans laquelle l'attitude compétitive enferme chacun. Le drame de l’école est d'être contaminé par une attitude de lutte permanente, qui est à l'opposé de sa finalité[5]. » Selon Jacquard, et c’est une réflexion à méditer, l’élève devient intelligent lorsqu’il comprend qu’il n’a pas compris car c’est ce qu’il y a de plus difficile à comprendre ! Dans cette perspective, l’élève change son rapport au savoir, se fixe des objectifs, travaille en coopération avec les autres en dehors de toute démarche de gagnants et de perdants.

 

Un défi majeur

 

Se posent ainsi plusieurs questions fondamentales pour l’éthique de notre métier : Avons-nous pour mission d’être des dépisteurs, des douaniers, des contrôleurs qui seront obsédés par la culture du chiffre et du résultat ou bien avons-nous vocation à être des passeurs, des accompagnateurs, des éveilleurs pour l’accès de chacun au savoir, à la réflexion, à la coopération ? Avons-nous pour mission de préparer des individus à s’insérer dans le monde impitoyable de l’entreprise, du marché et de la concurrence, à être une main d’œuvre malléable et corvéable à merci, ou bien avons-nous pour vocation à éveiller des consciences, à former les futurs citoyens, lucides, autonomes et responsables qui sauront vivre ensemble en se respectant, sans se faire violence, sans exclure l’autre ? Il nous appartient de répondre maintenant à ces questions qui constituent un défi majeur pour notre société et notre civilisation pour ne pas regretter demain de n’avoir pas tout fait, tout tenté pour résister à cette logique de destruction du métier d’enseignant et plus largement de l’école publique.

 

 

 



[1] Voir la revue N’autre école, L’évaluation, du zéro à l’infini, n° 25, Hiver 2010

[2] Programmes de 2002

[3] Philippe Meirieu, Contre le libéralisme autoritaire, refonder le service public d’éducation, 6 février 2009, www.meirieu.com

[4] Daniel Favre, Transformer la violence des élèves, Dunod, 2007, p. 170

[5] Albert Jacquard, Mon utopie, Stock, 2006.



04/01/2011
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