Qui a besoin de ces évaluations nationales de CM2 ?, par Sylvain Grandserre
Publié le 17 décembre dans le Café pédagogique
Les inspecteurs de circonscription du primaire adressent aux écoles les premières informations relatives aux prochaines évaluations nationales de CM2 prévues en janvier 2011. Il s'agit du calendrier des différentes étapes : passation des épreuves, saisie des résultats, transmission des informations aux parents puis à l'administration. Mais, ne manquerait-il pas l'essentiel ?
1/ Pourquoi s'entêter, quand ça n'a aucun sens, à faire passer des évaluations à cette période ? En effet, les élèves auront repris depuis peu, après des vacances connues pour être particulièrement fatigantes (surtout avec une reprise dès le 3 janvier !). Quant aux parents, ils auront pour beaucoup déjà reçu un bilan du 1er trimestre.
2/ Qui en a besoin ? Ces évaluations sont beaucoup trop tardives pour être un diagnostic et bien trop précoces pour établir un bilan.
3/ Un autre mode d'évaluation que le binaire "bon/faux" va-t-il enfin être retenu ? Ainsi, même des évaluations académiques de langues vivantes utilisent 4 degrés (il en faudrait certainement 5 en comptant l'absence de réponse). En attendant, ce procédé ne prend pas en compte à leur juste valeur la majorité des réponses qui sont le plus souvent dans l'entre-deux.
4/ Va-t-on encore devoir évaluer les élèves sur des notions non étudiées ? S'il nous est répondu que toutes les compétences relèvent du CM1, alors pourquoi attendre pareille période ?
5/ Quelle fiabilité accordée à ces évaluations ? En plus d'être inexploitables, on sait qu'elles ont provoqué dans les classes concernées des réactions révélatrices du malaise ambiant : bachotage, révisions très ciblées à la maison, exercices proposés une première fois à blanc, réponses au tableau en QCM, correction très avantageuse, temps imparti dépassé, etc. De plus, l'an dernier, le ministère avait finalement avoué avoir dû procéder à une « correction statistique » des résultats (bonjour la valeur scientifique !) car les épreuves avaient été rendues difficiles pour voir jusqu'où on pouvait pousser les meilleurs (les élèves en difficulté ne lui disent pas merci...).
6/ Quelle utilisation sera faite des chiffres collectés ? On voit qu'en Angleterre, la question du boycott est également posée, avec d'autant plus d'urgence que des écoles aux performances insatisfaisantes sont menacées de fermeture.
7/ Quelles garanties a-t-on sur les risques de comparaison, de mise en concurrence, de classements d'école (mince, j'ai donné la réponse à la question précédente, désolé !) ?
8/ Enfin, si ces évaluations font partie du service obligatoire, pourquoi alors récompenser ceux qui les font passer par une prime ?
Le ministère avait prétendu vouloir laisser la porte ouverte à d'autres propositions. Dès lors, la reconduite à l'identique de ces évaluations serait d'autant plus regrettable que de nombreuses voix se sont fait entendre ces deux dernières années (enseignants, parents, formateurs, universitaires), non seulement pour condamner l'absurdité de ce dispositif, mais aussi pour réclamer des outils d'évaluation au service de la réussite des élèves. Est-ce vraiment trop demander ?
Sylvain Grandserre
Maître d'école - Porte-parole de l'appel des 200 maîtres contre les évaluations nationales, Co-auteur de "Faire travailler les enfants à l'école"