"Notre hiérarchie tolère désormais notre désobéissance", interview d'Alain Refalo dans Libération Toulouse
Interview dans Libération Toulouse
23 avril 2010
Déterminé. Alain Refalo, l'instituteur de Colomiers, à l'origine du mouvement de désobéissance pédagogique des enseignants du primaire persiste, comme 3000 de ses collègues signataires de la charte de la résistance pédagogique. Malgré les sanctions, il n'applique toujours pas les réformes décrétées par Xavier Darcos (lire libetoulouse du 30/12/2009).
La mise en place d'un atelier théâtre au lieu des deux heures hebdomadaires d'aide personnalisée pour les élèves en difficulté, lui avait valu l'an dernier un rappel à l'ordre assorti de 28 jours de retenue sur son salaire. Ses prises de positions publiques avaient entraîné une convocation en commission disciplinaire au mois de juillet. Il avait alors écopé d'un abaissement d'échelon.
Il récidive cette année avec la mise en place d'un atelier journal sur le temps de l'aide personnalisée. Un nouvel acte de «résistance pédagogique» que l'inspecteur d'académie a constaté lors d'un contrôle effectué au mois d'octobre dernier. Mais sans pour autant, cette fois, le sanctionner.
Le mouvement de résistance pédagogique veut y voir la preuve d'un changement d'attitude de l'administration. «Sans oser le dire haut et fort, elle tolère désormais notre désobéissance», explique à Libétoulouse Alain Refalo.
Alain Refalo : Oui, je suis plus que jamais en résistance vis-à-vis des nouveaux programmes et du dispositif de l'aide personnalisée. Cette année, sur ces deux heures, avec deux autres collègues de l'école, nous avons mis en place un atelier journal. Les élèves y participent activement et améliorent leur production d'écrits. Les parents d'élèves, comme l'an passé, nous soutiennent dans notre démarche.
Votre inspecteur est pourtant revenu dans votre classe vous contrôler comme l'an dernier...
Alain Refalo : Il est revenu au mois d'octobre. Il a bien remarqué qu'avec mes collègues nous n'appliquions pas ce dispositif d'aide personnalisée. Mais ce coup-ci, l'inspecteur d'académie ne nous a pas sanctionnés financièrement. Alors que pour les mêmes faits, l'an dernier, j'ai eu 28 jours de retraits de salaire entre janvier et juin 2009. L'administration a donc changé d'attitude à notre égard. Elle est obligée de constater que les sanctions ne nous ont pas fait plier.
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Comment expliquez-vous cette tolérance ?
Alain Refalo : Le ministère, tout comme les inspections académiques, a fait le constat que son dispositif d'aide personnalisée n'est pas efficace. L'essentiel se joue dans le groupe-classe sur les 24 heures obligatoires. Le reste est de la poudre de perlimpinpin. Pour l'heure, les inspections académiques ont pour consigne de ne plus mettre la pression sur les enseignants concernant l'application stricte de ce dispositif. Elles laissent les équipes pédagogiques utiliser au mieux ces deux heures. C'est une décision de bon sens qui s'ajoute au fait que les postes de Réseaux d'aide spécialisés pour les élèves en difficulté (RASED) sont stabilisés pour l'année prochaine.
Pensez-vous que le ministre Luc Châtel puisse faire mieux que le ministre Xavier Darcos ?
Alain Refalo : Même s'il ne remet pas fondamentalement en cause la politique de son prédécesseur, surtout sur les suppressions de poste, il essaie de déminer les problèmes les plus chauds. Sur la forme, il dialogue davantage avec les organisations syndicales et les mouvements pédagogiques. C'est pourquoi il doit entendre que la disparition des IUFM et la formation pédagogique des jeunes professeurs des écoles est une mesure absolument catastrophique. Sur le fond, il a été très décevant dans ses décisions sur la violence à l'école. Nous attendons maintenant un vrai débat sur les rythmes scolaires. Et qu'il mette au placard le projet des EPEP (Etablissements Public d'Enseignement du Primaire) qui consacreraient la municipalisation de l'école publique.
La condamnation à deux mois de prison d'un parent pour avoir giflé une conseillère d'éducation vous satisfait-elle ?
Alain Refalo : L'agression d'un enseignant est un acte insupportable et condamnable. Je ne pense pas que la prison soit la sanction la plus adaptée, car je crois aux sanctions éducatives et non pas exclusivement punitives. Toujours est-il que cet acte reflète encore une fois le climat de violence qui s'installe dans les établissements scolaires. Mais la violence ne vient pas seulement de l'extérieur. Elle est aussi interne aux établissements. Il faut oser le dire, l'institution produit elle aussi de la violence, laquelle peut entraîner, chez les élèves et parfois les parents, des actes répréhensibles à l'encontre d'enseignants. L'institution doit aussi se remettre en question et prendre sa part de responsabilité dans ces situations de violence. Ce qui a manqué aux Etats généraux sur la sécurité à l'école, ce sont des cahiers de doléances. Cela aurait été particulièrement éclairant sur les causes de la violence à l'école et des réponses adéquates à formuler.
Propos recueillis par Jean Manuel ESCARNOT
Alain Refalo, professeur des écoles à Colomiers, auteur du livre "En conscience, je refuse d'obéir. Résistance pédagogique pour l'avenir de l'école", Ed. des Ilots de résistance.