Lettre de renvoi des palmes académiques à Luc Chatel, par un directeur d'école d'Alsace
Roland BRAUN
34 rue de la gare
68500 MERXHEIM
Merxheim le 14 février 2011
à Monsieur le Ministre de l'Education Nationale,
110, rue de Grenelle
75005 PARIS
Monsieur le Ministre,
J'ai commencé ma carrière d'enseignant en 1971 par deux années scolaires complètes de formation professionnelle rémunérée. J'ai ainsi eu la possibilité de faire des stages d'observation de deux semaines dans chacun des niveaux de l'école élémentaire et maternelle, avant de faire un stage en responsabilité d'un trimestre complet.
Les jeunes collègues qui entrent aujourd'hui dans le métier, après le réforme de la formation que vous avez mise en place, ont certes un niveau master, mais leur formation pédagogique est réduite à néant. Ils sont mis devant des classes sans qu'on leur ait permis de découvrir la complexité de la relation pédagogique, sans avoir appris à gérer un groupe, à prendre en compte l'hétérogénéité des élèves et les situations difficiles qu'ils rencontreront inévitablement. Nombre d'entre eux, qui s'étaient engagés dans cette profession avec enthousiasme et dévouement, sont aujourd'hui déprimés, désespérés face à des difficultés qu'ils n'appréhendaient pas, faute d'une formation professionnelle digne de ce nom.
Au cours de ma carrière, j'ai pu mesurer l'amélioration du système éducatif français, j'ai pu contribuer, à ma modeste place, à cette évolution, qui ne s'est pas faite sans mal et sans heurts certes mais qui allait globalement vers une meilleure prise en compte de tous les élèves, vers plus d'égalité des chances. Malheureusement, cette courbe ascendante s'est inversée depuis quelques années et plus nettement depuis 2007. Malgré l'hypocrisie des discours, toujours positifs, j'ai pu vivre au cours des dernières années de vie professionnelle les différentes étapes de ce qu'il faut bien appeler par son nom : le démantèlement du service public d'éducation :
Suppressions massives de postes d'enseignants qui amènent la France au dernier rang des pays de l'OCDE pour le taux d'encadrement dans l'enseignement primaire (source : Centre d'analyse stratégique 2011).
- Suppression d'une vraie formation professionnelle,
- Suppression des RASED,
- Asphyxie financières des associations complémentaires de l'école qui depuis plus d'un siècle pour certaines, ont été une source inestimable d'apports de toutes natures.
Cette liste est malheureusement loin d'être exhaustive !
Ces réformes ont été menées sans aucune concertation avec le monde enseignant et au mépris des préconisations de l'immense majorité des chercheurs en pédagogie et didactique. Les seules réponses aux légitimes réactions des enseignants ont été l'autoritarisme, les sanctions et l'attribution de primes pour les personnels d'autorité. Après les recteurs et les chefs d'établissement, je pense que les inspecteurs de circonscription ne vont pas tarder à bénéficier également de primes au mérite. Ils en auront bien besoin pour continuer à faire passer des mesures que la majorité d'entre eux réprouvent.
Lorsque l'on m'a proposé les palmes académiques en 1998, j'ai hésité à les accepter : pourquoi moi, alors que de nombreux autres collègues aussi "méritants" ne les avaient pas. J'étais à la fois mal à l'aise de bénéficier de cette distinction mais également fier que l'institution reconnaisse mon engagement professionnel.
Aujourd'hui, Monsieur le Ministre, j'ai décidé de m'associer à l'Appel des 47 et de vous renvoyer mon diplôme, car je ne puis accepter d'être "reconnu" par une institution dont la politique va à l'encontre de tout ce pour quoi je me suis investi durant toutes ces années. Je ne me fais guère d'illusion quant à l'incidence de ces renvois sur votre politique, mais j'espère que ces témoignages inciteront de nombreux collègues à relever la tête et je dédie tout particulièrement mon acte à tous les enseignants en résistance pédagogique. Ils sont, aujourd'hui, l'honneur de notre profession et je ne doute pas qu'un jour ils seront reconnus à la mesure de leur courage et de leur engagement pour l'Ecole.
Veuillez agréer, Monsieur le Ministre, l'expression de ma profonde indignation.