Lettre de désobéissance d'une directrice de Lézan (30) à son inspecteur

7 enseignant-e-s du Gard (30) ont déposé une lettre individuelle de désobéissance à l'Inspection Académique à Alès, le mercredi 17 décembre 2008. Voici l'une d'entre elles.

Mme Dany Bénézet
Professeur d'école
Directrice de l'école primaire de Lézan 
Chemin de Costelongue 
30350 Lézan                                                                   Le 17 décembre 2008


à Monsieur l'inspecteur d'Académie du Gard
s/c Monsieur l'Inspecteur départemental Nîmes 2

Monsieur l’Inspecteur d'Académie,

Je vous écris cette lettre car aujourd’hui, en conscience, je ne puis plus me taire ! En conscience, je refuse d’obéir !

Le démantèlement des fondements de l’Education Nationale est un processus que je ne peux accepter sans réagir.

L’objet de ma lettre est de vous informer que je ne participerai pas à ce démantèlement. En conscience, je refuse de me prêter par ma collaboration active ou mon silence complice à la déconstruction du système éducatif de notre pays.

1. Les « nouveaux » programmes constituent une régression sans précédent. Ils tournent le dos à la pédagogie du projet qui permet aux élèves de s'impliquer dans les savoirs, de donner du sens à ce qu'ils font, de trouver des sources de motivation dans leur travail. Cette vision mécaniste et rétrograde des enseignements, qui privilégie l'apprentissage et la mémorisation, va certainement enfoncer les élèves en difficulté et accentuer l'échec scolaire. Ces programmes sont conçus pour pouvoir fournir des résultats « quantifiables, publiables et comparables » Nous sommes bien dans une logique d'entreprise et de libéralisation de l'école. Au contraire je pense que nous avons besoin d'une éducation au vivre ensemble: l'éducation citoyenne est l'un des piliers de l'école pour construire une société ouverte, démocratique et libérée de l'emprise de la violence. La priorité aujourd'hui est d'apprendre aux élèves à se respecter, à réguler positivement les inévitables conflits du quotidien par la parole, la coopération, la médiation, c'est le sens de mon engagement à l'OCCE et à l'IGEM. Dans la mesure où les programmes de 2002 n'ont fait l'objet d'aucune évaluation sérieuse et que d'autre part nous ne savons toujours pas qui a élaboré et rédigé les programmes 2008, d'ailleurs sans aucune concertation digne de ce nom, nous sommes en présence d'un déni de démocratie et de pédagogie. Pour toutes ces raisons, je considère que ces programmes sont totalement illégitimes.

C'est pourquoi en conscience, j'ai décidé de ne pas les appliquer et de continuer à travailler dans l'esprit des programmes de 2002.

2. La suppression du volume horaire de la semaine scolaire de 26h à 24h est un manque d'environ une année scolaire sur l'ensemble du parcours de l'école primaire. De l'aveu même de M. le Recteur de l'Académie de Montpellier, il s'agit de répondre avant tout à l'attente sociale de libérer le samedi matin. Le dispositif d'aide personnalisée ne répond pas aux besoins des enfants pris en charge par les maîtres spécialisées. Par contre il constitue un prétexte démagogique pour supprimer les RASED (3000 postes de maîtres spécialisées cette année et 5000 les années suivantes) et supprimer deux heures d'enseignement hebdomadaire obligatoire. La suppression de ces milliers de postes échappera à l'opinion qui connait mal le travail de ces maîtres et qui pourra se satisfaire de l'effet d'annonce de l'aide personnalisée.

Je m'engage donc à suspendre dès la rentrée de janvier l'aide personnalisée après avoir informé les parents d'élèves et à participer à une réflexion sur l'aménagement de la semaine et de l'année.

3. Les stages de remise à niveau pendant les vacances scolaires à destination des élèves de CM1 et CM2 sont eux aussi des dispositifs scandaleux et démagogiques destinés à caresser l'opinion publique dans le sens du poil. Mis en place sous le motif populiste qu'il est anormal que seuls les riches peuvent se payer des heures de soutien scolaire (dixit notre ministre), ces stages ne règleront en rien l'échec scolaire. Ils sont destinés à appâter les enseignants qui souhaitent effectuer des heures supplémentaires avec bonne conscience, alors que dans le même temps des milliers de postes sont supprimés, aggravant ainsi les conditions de travail dans les écoles.

Je m'engage donc à ne pas participer à ces stages et ne pas transmettre de listes d'élèves.

4. La loi sur le service minimum d'accueil remet gravement en cause notre droit de grève. Là aussi il s'agirait de répondre à une demande sociale. Mais je n'ai pas constaté comme la très grande majorité de mes collègues que ce soit une préoccupation majeure des parents. Par contre ceux-ci s'inquiètent du manque chronique de remplaçants dont le nombre baisse avec la diminution drastique des postes dans le 1° degré opérée depuis trois ans.

Je déclare donc que je ne remplirai plus de déclarations d'intention préalable de grève et j'informerai les parents trois jours avant de mon intention de faire grève.

5. Le fichage généralisé que constitue l'enregistrement des élèves et de données les concernant, à travers le dispositif Base-élèves n'apporte rien d'un point de vue pédagogique ou de gestion d'école. Au contraire, la mise en place par le Ministère de l'Education Nationale d'un fichier national de toute la jeunesse : la Base nationale identifiants élèves (BNIE), fichier dissimulé derrière Base élèves, qui enregistrera des données personnelles relatives à tous les enfants, dès l'âge de 3 ans et pour une durée de 35 ans, est une atteinte fondamentale aux libertés individuelles et entre profondément en conflit avec mon éthique professionnelle et ma morale personnelle.

Je m'engage donc à refuser le fichage de mes élèves dans l'application Base-élèves et je demande la reconnaissance d'un droit à l'objection de conscience.

6. Les évaluations nationales mises en place cette année en CE1 et CM2, dont les résultats serviront à classer les écoles, et la suppression de la carte scolaire permettront aux parents de choisir leur école, encore une fois dans une logique de libéralisation. Ceci va à l'encontre des principes républicains de notre école. Le procédé d'organisation de ces évaluations qui s'accompagne d'une prime de 400 euros servant à acheter les enseignants de ces niveaux de classe est proprement scandaleux. Il ignore le travail de tous les enseignants en amont de ces évaluations et essaie de diviser les équipes pédagogiques avec des considérations financières alors que le temps d'évaluation fait partie de notre métier d'enseignant.

Je m'engage donc à ne pas communiquer les résultats de ces évaluations, outil de travail interne à notre équipe pédagogique, à l'extérieur de l'école,

Je fais ce choix en pleine connaissance des risques que je prends, mais surtout dans l’espérance de construire une école du respect, de la coopération, de la solidarité et de la réussite pour tous.

Vous comprendrez, Monsieur l'Inspecteur d'Académie, que cette prise de position n'est pas dirigée contre vous. J'espère qu'étant reprise par le plus grand nombre de collègues possible, elle vous persuadera de la gravité de la situation telle que nous la percevons et que vous pourrez d'une manière ou d'une autre témoigner en notre faveur de cette résistance auprès de M. le Ministre.

Je vous prie de recevoir, Monsieur l’Inspecteur, l’assurance de mes sentiments déterminés et respectueux.



03/01/2009
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