Lettre d'une institutrice de Toulon à son inspecteur

Pascale LA ROSA
Professeur des écoles
Adjointe
Ecole élémentaire Le Brusquet
Toulon 3

                                                                        A l’attention de Monsieur Fauvelle

                                                                      Inspecteur de l’Education Nationale

                                                                                 Circonscription de Toulon 3

Toulon, le 8 décembre 2008

Monsieur l’Inspecteur, 

A l’instar de mon collègue Alain Refalo, je vous écris cette lettre car aujourd’hui, en conscience, je ne peux plus me taire ! En conscience, je refuse d’obéir.

Les coups portés à notre système éducatif sous des  prétextes fallacieux et démagogiques de la part de nos dirigeants masquent mal leur volonté de démantèlement de l’école publique, dans une optique de marchandisation de l’école. Ainsi, on organise la concurrence des établissements au motif que « la concurrence garantit la qualité » ; c’est délibérément faire un amalgame entre l’éducation d’un enfant et la fabrication d’un objet de consommation courante. La publication plus ou moins officielle des résultats des écoles est une incitation à une attitude consumériste face à l’institution. Il est malhonnête de prétendre comptabiliser et quantifier tous les acquis, les attitudes, les savoir-faire, les savoir-être.

Je ne peux admettre que les principes de la République soient aussi cyniquement bafoués : quelle fraternité, lorsqu’on renvoie à des écoles confessionnelles la mission d’éduquer, au mépris du principe de laïcité qui nous est si cher ? Sans compter l’instauration prochaine d’un chèque éducation pour le privé, alors que dans le même temps l’état se désengage auprès des associations complémentaires de l’école : diminution drastique des subventions avec effet rétroactif et suppression des mises à disposition des enseignants en 2009 dans des associations telles les FRANCA, l’OCCE, les PEP pour ne citer qu’elles.

Je ne peux me résoudre à cautionner l’aide personnalisée qui ne sert qu’à masquer la destruction et la suppression des RASED, dont la philosophie a toujours été « différencier sans exclure », au contraire de ces 2h qui ne font que stigmatiser des enfants en souffrance, déjà gavés d’école et qui ont besoin d’un autre regard sur eux.

En conséquence, je refuse d’appliquer ce dispositif tel qu’il est prescrit, mais consacrerai ces deux heures à la mise en place d’un projet de conte musical pour toute la classe, en demi-groupes.

Dans le même ordre d’idée, je ne signalerai pas d’élèves pour les stages de remises à niveau et ne me porterai pas davantage volontaire pour les assurer, tant je considère ces dispositifs comme scandaleusement inefficaces et démagogiques. Mais je m’efforcerai, par tous les moyens dont je dispose, de remédier au sein de ma classe et pendant le temps scolaire aux difficultés rencontrées.

 En conscience, je refuse de me prêter par ma collaboration active ou mon silence complice à la déconstruction d’un système, certes imparfait, mais qui a maintes fois prouvé que la difficulté scolaire se traite avec efficacité dans des dynamiques de coopération, de tutorat, de travail différencié, d’ateliers de besoin etc. Si le ministre se souciait réellement des enfants en difficulté, il ne diminuerait pas leur temps d’enseignement de 2 heures hebdomadaires, il ne supprimerait pas massivement des postes d’enseignants au moment où les effectifs augmenteront de 16 000 individus à la rentrée 2009 ; on sait que plus le nombre d’enfants dans une classe est élevé, plus les risques d’échec scolaire augmentent.

La suppression des IUFM constitue une autre marque de mépris ostensible envers notre profession ; elle prétend leur substituer des étudiants titulaires d’un master (qui n’existe d’ailleurs pas encore, et qui suscite bien des « bricolages » dans les universités affolées), formés ensuite « sur le tas »;

De même, les remplacements des enseignants malades  désormais assurés par des vacataires, non formés, issus d’agences spécialisées semblent relever de la science-fiction.

La création des EPEP, votée dans la précipitation malgré le rejet unanime du Conseil Supérieur de l’Education (moins la voix du MEDEF, il est vrai…), ne semble pas rejoindre la prétendue volonté de notre Président à favoriser des structures à taille humaine.

Les atteintes insupportables à l’école maternelle, que le monde entier nous envie, dans le seul but de faire des économies, est une régression sans précédent alors que d’autres pays européens s’en inspirent et tentent de prendre modèle sur le système français ; on sait pourtant aussi que les élèves n’ayant pas suivi cet enseignement présentent de très mauvais pronostics pour la suite de leurs études ; et que l’on ne nous oppose pas les fameux « jardins d’éveil », payants bien sûr, et qui ne feront qu’aggraver les disparités et la ghettoïsation des populations les plus démunies, les plus fragilisées, les plus précaires ; quelle égalité nous est proposée alors ? Quelle fraternité ? Quelle liberté, si le coût financier interdit à certains l’accès à ces lieux qui au bout du compte, représenteront peu d’économies, si ce n’est qu’ils seront essentiellement aux frais des collectivités locales ainsi que des ménages, qui verront leurs impôts locaux monter en flèche, et plus du tout de l’Etat ?

L’instauration brutale et sans concertation de la semaine de 4 jours, et ce en dépit des préconisations des chrono-biologistes, est une catastrophe au regard de ses conséquences. C’est sur une journée qu’il faut équilibrer, et en matière de rythmes de l’enfant, 4x6 ne sont pas égaux à 6x4 ! En d’autres termes, les écoliers français ont les journées les plus longues (6h contre 3 ou 4 h en Finlande, meilleure « élève » d’après l’OCDE), et le nombre de jours de classes le plus bas (à peine 140 contre 188 en Finlande, 190 en Grande-Bretagne, 210 en Italie et au Danemark).

C’est un autre facteur d’aggravation de la fracture sociale, qui « pénalise surtout les enfants qui cumulent les difficultés personnelles, familiales et sociales. […].L’Ecole de la République devient celle des enfants qui n’ont pas de difficulté majeure dans leurs rythmes, leurs façons d’être et de faire, dans leurs constructions cognitives et dans la mobilisation de leurs ressources intellectuelles » (Hubert Montagner).

Toutes ces constatations m’amènent à déplorer la casse systématique de toute tentative de cohésion sociale, la mise au ban de la citoyenneté, qui mettent en péril la capacité de tous à vivre ensemble.

La mise en place du SMA (service minimum d’accueil), outre le fait de sonner comme une véritable provocation supplémentaire, constitue à mes yeux une atteinte inacceptable au droit de grève. Il est de plus inapplicable pour de nombreuses communes qui se voient lourdement condamnées lorsqu’elles contreviennent à cette loi ; j’affirme mon soutien à ces communes, qui refusent de mettre en danger les enfants en réquisitionnant des personnels non qualifiés.

J’en veux pour preuves les dysfonctionnements constatés à Toulon le 20 novembre dernier.

Par conséquent, je ne me déclarerai plus en grève 48h à l’avance, mais informerai comme toujours les familles concernées dans les meilleurs délais.

Enfin, les fameux nouveaux programmes, plus lourds malgré une rhétorique qui prétend le contraire, offrent une vision mécaniste et rétrograde des apprentissages, ignorent délibérément 30 années de recherches pédagogiques et vont contribuer à accentuer l’échec scolaire ; il est malhonnête et hypocrite de parler de « retour aux fondamentaux », car ceux-ci n’ont jamais été abandonnés ; ce qui a  rapidement et dédaigneusement été qualifié de « pédagogisme » , à l’instar de la querelle des tenants de la méthode syllabique contre la méthode globale, ne peut être tranché de façon aussi simpliste.

Dès lors que l’acte d’éducation revêt un aspect émancipateur, la pédagogie qui l’entoure devient suspecte.

C’est pourquoi, forte de mes convictions, je n’appliquerai pas les programmes de 2008 et continuerai à travailler dans l’esprit de ceux de 2002. Je m’engage donc à favoriser la construction de la pensée et à développer des apprentissages qui ne sont pas seulement basés sur des automatismes.

Je m’engage également à apprendre à lire, écrire, et calculer à mes élèves pour qu’ils puissent analyser et comprendre le monde dans le respect des droits de tous.

Ces actes de désobéissance sont mon dernier recours face à l’absence de dialogue social, les prises de décisions unilatérales, le mépris et la dérision de Monsieur le Ministre ; pour citer John Rawls, c’est « le dernier recours lorsque nos protestations et nos manifestations légales sont restées sans effet, » afin de dénoncer et faire cesser « une infraction grave au principe de la juste égalité des chances pour tous ».

Face à ce désastre, la servilité, l’intimidation et l’infantilisation ne sont plus de ce siècle. La loi n°83-634 du 13 juillet 1983, dans l’article 28, pose le principe hiérarchique d’obéissance du fonctionnaire dans les termes suivants :

« Tout fonctionnaire, quel que soit son rang dans la hiérarchie, est responsable des tâches qui lui sont confiées. Il doit se conformer aux instructions de son supérieur hiérarchique sauf dans le cas où l’ordre donné est manifestement illégal et de nature à compromettre gravement un intérêt public. »

Si aujourd’hui j’entre en résistance, c’est parce que je ne pourrais plus concilier liberté pédagogique, plaisir d’enseigner et esprit de responsabilité en appliquant ces mesures.

Toutes ces réformes, diminution des horaires de la semaine, aide personnalisée, stage de remise à niveau, nouveaux programmes conduisent à un démantèlement de l’école et de l’éducation nationale auquel je me refuse à participer.

C’est une atteinte fondamentale au droit à l’éducation.

Je fais ce choix en pleine connaissance des risques que je prends, mais surtout dans l’espoir que ma résistance portera ses fruits. J’espère que, collectivement, nous empêcherons la mise en œuvre de ces prétendues réformes. Cette action est une action constructive car dans le même temps il s’agit aussi de mettre en place des alternatives pédagogiques concrètes, raisonnables et efficaces.

Monsieur l’Inspecteur, vous l’avez compris, cette lettre n’est pas dirigée contre vous, ni votre fonction, mais je me devais de vous l’adresser et de la faire connaître. Le propre de l’esprit responsable est d’agir à visage découvert, sans faux-fuyant, en assumant les risques inhérents à cette action. C’est ce que je fais aujourd’hui.

Je vous prie de recevoir, monsieur l’Inspecteur, l’assurance de mes sentiments déterminés et respectueux.

Pascale LA ROSA



18/12/2008
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