Lettre d'une institutrice de Moissac (82) à son inspecteur

Mme Leboucher Corine

Ecole maternelle du Sarlac

82200 Moissac                                                         Moissac, le 9 décembre 2008

 

 

à Monsieur l'Inspecteur de l'Education Nationale

de la circonscription de Valence

  

 

Monsieur l'Inspecteur,

 

C'est avec regret mais détermination que je vous adresse ce courrier. A l'école, nous avons mis en œuvre à la rentrée les nouvelles mesures gouvernementales : programmes, nouvelle organisation de la semaine et préparation des APE.

 

Dés le départ, j'ai regretté pour mes élèves, enfants de 2 et 3 ans, la disparition du mercredi. En REP, il me semblait que la meilleure prévention des difficultés à venir était une fréquentation régulière de l'école.

 

 De plus, la différenciation horaire pour des élèves de maternelle n'étant pas dans une difficulté sévère pouvait présenter de gros inconvénients. En tant que rééducatrice, j'ai travaillé sur les effets de stigmatisation que représentaient l'échec et l'aide individualisée. Pour ce qui est de la difficulté « ordinaire », elle me semble d'une part inhérente au cursus d'apprentissage, d'autre part à intégrer dans le travail du groupe classe avec différents dispositifs (décloisonnements, échanges de service, travail en petits groupes, projets individualisés) et avec le principe du respect par l'enseignant et les élèves des différences de rythmes et de stratégies d'apprentissage. Je garde évidemment toujours l'objectif de la réussite de tous.

 

En septembre, nous avons donc longuement débattu à l'école de la composition des groupes pour l'APE, tentant de conserver un semblant d'efficacité et d'égalité en vous proposant des groupes avec l'ensemble des GS puis des MS au second trimestre. Les PS ont été écartés par principe (impossibilité dés leurs premiers mois à l'école de parler de difficultés scolaires). Ce dispositif  a été refusé. Nous avons dressé ensuite une liste d'élèves de GS présentant des difficultés à être élève et des lacunes lexicales. Le travail en APE devait se faire au plus près des activités de classe.

 

           Cela s'est révélé impossible pour moi puisque mes « élèves d'APE » n'avaient pas de groupe classe du fait de la pénurie de remplaçant pendant 3 semaines. Le désengagement de l'état est devenu manifeste dans ce domaine, nous l'avons constaté à l'école chaque année depuis au moins trois ans. En novembre, une remplaçante ayant été nommée, elle a pris très logiquement ce groupe en charge. Un nouveau groupe de 3 élèves m'a été confié. Après 5 semaines d'APE, je constate que les retards ou absences sont nombreux (plus de 50 % pour mon groupe et un élève n'a pu venir pour des raisons matérielles). L'organisation préconisée d'alignement des horaires pratiqués en maternelle sur ceux de l'école élémentaire n'apporte rien, ni en terme de cohérence pour les aides, ni en terme de qualité du projet. Elle présente l'inconvénient majeur d'allonger la journée de l'élève et celui d'obliger certains parents à des allers-retours à l'école le matin.

 

Dois-je insister auprès des familles et par là même risquer de mettre un élève ou des parents en difficulté alors qu'il s'agissait seulement de combler des lacunes  dues à une origine non francophone ? Et si je ne le fais pas, quelle est l'efficacité de ce dispositif ?

 

Dans le même temps, des déclarations officielles faisaient le lien entre ce dispositif des APE et la suppression de 3000 postes d'enseignants chargés des aides spécialisées. C'est inacceptable.  

Ma conclusion est que les mesures prises depuis plus d'un an par notre ministère définissent  une politique éducative globale qui remet en cause les fondements de l'école publique.

 

Comme d'autres collègues, il ne m'est plus possible d'assister à ce démantèlement sans réagir.

 

Pour ma part, enseignante de maternelle, je refuse :

 

-          d'allonger la journée des élèves,

-          de faire une différence horaire entre les élèves pour les aider à résoudre leurs difficultés d'apprentissage,

-          de traiter la difficulté scolaire sur un temps qui ne soit pas commun à tous.

 

Je m'engage :

 

- à respecter le développement de l'enfant,

- à favoriser la construction de sa pensée par une pédagogie coopérative et des apprentissages qui ne sont pas basés sur des automatismes,

- à effectuer le volume horaire institutionnel pour que tous les enfants puissent bénéficier du même total d'heures sur l'année,

- à participer à une réflexion sur l'aménagement de la semaine et de l'année,

- à créer les conditions de coopération qui favoriseront au sein de l'équipe éducative et au sein de la classe, le dépassement de la difficulté par les élèves.

 

Pour le deuxième trimestre, j'ai donc décidé de revenir à des pratiques plus éthiques (horaires compatibles avec les rythmes des enfants et proposition faite à tous les élèves de ma classe). J'adresse donc aux parents de ma classe une proposition de classe le mercredi matin, de 9h00 à 12h00 à compter de la rentrée de janvier. Un bilan vous sera adressé avant les vacances de février. Ce dispositif ne pouvant entraîner d'obligation de fréquentation, j'insisterai toutefois sur l'intérêt de sa régularité.

 

Ma démarche est uniquement motivée par les valeurs professionnelles qui m'ont guidée depuis 27 ans et m'avaient amenée à regret à quitter en juin 2006 l'enseignement spécialisé suite à une attaque « prémonitoire » contre les RASED et à la fermeture de mon poste de rééducatrice. J'espère encore voir l'école publique se transformer et que ce lieu de culture devienne enfin un lieu d'espoir, de respect, de curiosité et de solidarité pour tous.

 

        Je vous prie de croire, Monsieur l'Inspecteur, en mon sincère attachement au Service Public d'éducation.

 

 

Copies pour information à Monsieur le Maire de Moissac et aux syndicats enseignants.



25/12/2008
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