Lettre d'une institutrice de Etueffont (90) à son inspecteur
Mme Valérie Choulier Etueffont le 11 mars 2009
Enseignante en classe CE2-CM1
1, rue de Rougemont
90 170 ETUEFFONT
à Mr l’Inspecteur d’Académie du Territoire de Belfort
s/c Mme l’Inspectrice de l’Education Nationale,
Circonscription Belfort IV
Objet : Lettre ouverte à Mr l’Inspecteur d’Académie
Mr l'Inspecteur d’Académie,
Je vous écris cette lettre car aujourd'hui, en conscience, je ne peux plus me taire !
Enseignante depuis 1986 au sein de l’école publique, je suis très soucieuse quant à l’avenir de notre système éducatif.
Budget démissionnaire (6000 suppressions de postes pour près de 20 000 élèves supplémentaires attendus ; ce rythme devant se confirmer ces prochaines années), nouveaux « vieux » programmes, suppression imposée de 2 heures d'enseignement pour tous, suppression de 3000 postes RASED, suppression des enseignants mis à disposition pour les associations complémentaires, suppression des IUFM, acharnement à discréditer la profession aux yeux des usagers, … pour ne parler que de ce qui est déjà acté.
Les premières victimes de cette charge sans précédent contre le service public d'éducation sont les élèves qui connaissent des difficultés scolaires, alors même que le gouvernement prétend s'en soucier prioritairement martelant l'opinion d'un discours hypocrite et populiste. A la Crise financière et économique, le gouvernement ajoute la crise de l'éducation, c'est-à-dire celle de l'avenir. Sur les épaules des plus fragiles victimes de la crise, le gouvernement fait encore reposer le plus gros du fardeau de la crise de l'éducation.
Nous, enseignants, sommes évidemment les mieux placés pour constater les dégâts et les inégalités qui s'accroissent ; mais, nous sommes de plus tenus par notre hiérarchie d'organiser ce démantèlement et d'en assurer la propagande auprès des usagers en nous inscrivant dans divers dispositifs. Je qualifierais ces dispositifs de parasites de par leurs objectifs (non avoués parfois) mais également de par le surcroît de travail occasionné qui par ailleurs ne profite pas aux élèves : mise en concurrence des écoles (évaluations CE1/CM2, …), externalisation progressive des missions de l'école, mise en place de dispositifs de soutien aux élèves en difficulté trompeurs, sans ambition et inadaptés à la plupart des difficultés scolaires : PPRE, stages de remise à niveau, aide personnalisée, …
Vous l'avez bien compris : ceux qui croient en l'école de la réussite pour tous sont en colère !
Concrètement, en conscience,
1) Je refuse donc de mettre en place tout dispositif qui, à la fois,
- n'apporte aucun bénéfice nouveau aux élèves
- apporte l'illusion aux parents que la situation de son enfant est mieux prise en compte
- me donne un surcroit de travail inutile
- favorise la mise en concurrence entre écoles, ou méprise les enseignants.
Dans ce cadre, je ne renseignerai plus les formulaires PPRE, ni les fiches périodiques de suivi de l'aide personnalisée. Par contre, je continuerai à rencontrer régulièrement toutes les familles de mes élèves et à construire avec elles, et leurs enfants, des plans personnalisés. Je poursuivrai les relations régulières de concertation avec le RASED et mes collègues qui m’éclairent sur les difficultés de mes élèves et m’aident à trouver des solutions. Je continuerai à m’entretenir régulièrement avec les orthophonistes privés qui suivent certains de mes élèves. Je prendrai des temps d’évaluation régulière avec les familles et les enfants sur ces divers dispositifs d’ « aide personnalisée »
Je ne renseignerai pas votre tableau des 108 heures. Je vous transmettrai par contre un tableau indiquant l’ensemble de mes heures effectuées hors temps élèves. Au 31 décembre 2008, j’en suis d’ailleurs à 84h (sans compter les temps de préparation de classe et de corrections des travaux d’élèves)
2) Je dénonce la disparition des RASED INDISPENSABLES pour nos élèves les plus fragiles : autant pour le suivi auprès des enfants et de leurs familles que pour leur aide précieuse quant à l’évolution de nos pratiques.
Quand au dispositif d' «aide personnalisée» tel qu’il est mis en place, je considère qu’il alourdit une journée déjà longue, et sert d’alibi au gouvernement pour supprimer les RASED, des postes, des heures de classe, … Malheureusement, c'est à peu près tout ce qui reste pour aider les élèves qui connaissent des difficultés . Je ne supprimerai donc pas ce temps « externalisé » mais je le poursuivrai dans ma classe en l’aménageant pour :
- accompagner les apprentissages de certains de mes élèves ayant besoin d’une aide
- réaliser des activités que je ne peux pas mener en classe (classe de 30 élèves à double niveau)
- donner des « coups de pouce » ponctuels à des élèves moyens.
Un de mes élèves relève d’une prise en charge par le réseau (maitre G). Après rencontre avec le RASED de mon secteur, il est acté que mon élève ne pourra bénéficier d’un suivi, car l’enseignante option G n’a plus assez de temps. Pourtant, les enseignantes du RASED sont convaincues que c’est l’aide dont il aurait besoin.
Cet élève est déjà venu en aide individualisée, mais il a besoin d’autre chose. Actuellement, il ne vient pas car ce dispositif n’est pas adapté à sa difficulté.
J'en ai informé les parents.
Bien évidemment, par conscience et respect pour cet enfant, grâce aux précieux conseils de mes collègues du RASED et d’équipe d’école, je continuerai à mettre en oeuvre toute l’année des actions et un accompagnement.
3) Concernant les « nouveaux programmes 2008 », je ne cèderai pas à la tentation de remplir des cases, de cocher d’une croix les notions abordées sans me soucier des réelles acquisitions des élèves. Je continuerai à construire les concepts avec les enfants en m’appuyant sur leurs observations, en stimulant leur réflexion et leur esprit critique, en favorisant les échanges au sein de la classe. Evidemment, cela prend plus de temps qu’un « simple » cours magistral où il ne s’agit que d’écouter et acquiescer.
Je continuerai à gérer au mieux les exigences des programmes et les nécessaires adaptations liées aux acquisitions réelles de mes élèves.
Je pratiquerai de l’éducation civique et non de l’instruction civique.
Je continuerai à m'inscrire dans une approche constructiviste favorisant une pédagogie de projet et la transversalité entre les disciplines.
4) Je dénonce la disparition du samedi matin qui s’est faite au détriment des relations familles/école, au détriment des activités sportives, culturelles et artistiques.
5) Concernant l’évaluation nationale CM2, je me sens pleinement concernée même si je n’ai pas moi-même ce niveau de classe. Je suis complètement solidaire de mes collègues qui trieront les épreuves et qui ne transmettront pas de résultats chiffrés à l’inspection académique. Nos élèves, notamment les plus fragiles, n’ont rien à gagner dans cette course effrénée au « chiffre » , à la compétition affichée entre écoles.
6) Avec mes collègues, je continuerai à informer régulièrement les parents des projets et ambitions du gouvernement ainsi que de leur déclinaison locale.
Depuis 22 ans, je suis une enseignante pleinement engagée pour la réussite de tous mes élèves. En toute conscience, je ne peux accepter de participer à cette destruction progressive de l’école publique.
Monsieur l'Inspecteur, vous l'avez compris, cette lettre n'est pas dirigée contre vous, ni votre fonction, mais je me dois de vous l'adresser et de la faire connaître. Le propre de l'esprit responsable est d'agir à visage découvert, sans faux-fuyant, en assumant les risques inhérents à cette action. C'est ce que je fais aujourd'hui.
Je vous prie de recevoir, Monsieur l'Inspecteur d’Académie, l'assurance de mes sentiments déterminés et respectueux.
Mme Valérie Choulier