Lettre d'une institutrice de Corse du sud à son inspecteur
Anne-Marie Biancarelli Cuttoli-Corticchiato le 5 janvier 2009
Institutrice
École Maternelle de Mezzana
Lieu-dit « Urcheggio »
20167 Sarrola- Carcopino
à Monsieur l’Inspecteur d’Académie de la Corse
s/c. de Monsieur l’Inspecteur de l'Éducation Nationale d’Ajaccio II
Objet : En conscience, je refuse d'obéir !
Monsieur l’Inspecteur,
Je vous écris cette lettre car aujourd’hui, en conscience, je ne puis plus me taire ! En conscience, je refuse d’obéir !
Le démantèlement des fondements de l’Education Nationale est un processus que je ne peux accepter sans réagir.
En conscience, je refuse de me prêter par ma collaboration active ou mon silence complice à la déconstruction du système éducatif de notre pays et à sa marchandisation.
C’est pourquoi j’ai décidé, en toute responsabilité, comme Alain Réfalo et mes collègues de plusieurs départements, de :
- Ne pas appliquer les programmes de 2008 réalisés sans aucune concertation et présentant des aspects dangereusement rétrogrades. Je continuerai à mettre en œuvre les programmes de 2002. Je m’engage donc à favoriser la construction de la pensée et à développer des apprentissages qui ne sont pas seulement basés sur des automatismes.
- Ne plus assurer « l’aide personnalisée » telle qu’elle est demandée aujourd’hui en dehors du temps scolaire commun à tous les enfants alors même qu'on supprime les postes du RASED. Je continuerai, comme l’ensemble de mes collègues et moi-même, l’avons toujours fait, matin et soir, avant et après l’école, à être disponible pour mes élèves, à leur demande, ou celle de leurs parents.
Je continuerai à mettre en place pendant la journée de classe des dispositifs personnalisés d’aide aux enfants en difficulté, en collaboration et avec l’aide et l’intervention des membres du RASED.
- Ne participer à aucune animation ou formation destinée à favoriser la mise en place de ces réformes. Je participerai cependant avec enthousiasme à toute formation qui me permette d’enrichir et de développer mes compétences, ma réflexion et ma pratique pédagogique au service de tous les enfants.
- Reverser à une caisse de solidarité les primes discriminatoires que je serai susceptible de recevoir. Je suis opposée aux primes et heures supplémentaires qui divisent les enseignants au lieu de favoriser le travail en équipe (comme dans le cas des primes pour les évaluations nationales) ou rémunèrent des actions en dehors du temps scolaire alors même que les moyens manquent de plus en plus pour assurer l'essentiel sur le temps scolaire et que les associations complémentaires de l’école qui assurent sa vitalité se voient retirer leur personnel mis à disposition et une partie de leur subvention.
Je ne me porterai donc pas volontaire pour les stages de remise à niveau pendant les vacances et je ne participerai pas à la mise en place de ce dispositif. Je continuerai à travailler solidairement et en équipe avec mes collègues.
- Ne soumettre les enfants de ma classe à aucune évaluation nationale, départementale ou de circonscription tant que ces évaluations serviront une logique comptable et non l’intérêt des enfants et leur éducation.
- Je m’opposerai au fichage des enfants de ma classe dans l'application Base-Élèves Le fichage généralisé que constitue l'enregistrement des enfants et de données les concernant, à travers le dispositif Base-Élèves et surtout
Je refuse cette volonté de contrôle des populations.
- Je ne me déclarerai pas gréviste 48h à l'avance auprès de ma hiérarchie et je ne favoriserai pas l'organisation du Service Minimum d’Accueil car il s'agit là d'une atteinte à mon droit de grève mais je continuerai à informer à l'avance les parents de mes élèves. J’affirme mon soutien aux communes qui en ne le mettant pas en place, refusent de mettre en danger les enfants en réquisitionnant des personnels non qualifiés
Toutes ces réformes, diminution des horaires de la semaine, aide personnalisée, stage de remise à niveau, nouveaux programmes, fichage des enfants conduisent à un démantèlement de l’école et de l’éducation nationale auquel je me refuse à participer.
C’est une atteinte grave au droit fondamental à l’éducation.
Face à ce désastre, la servilité, l’intimidation et l’infantilisation ne sont plus permises.
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Si aujourd’hui j’entre en résistance auprès des collègues qui m’ont précédée, c’est parce que je ne pourrais plus concilier liberté pédagogique, plaisir d’enseigner et esprit de responsabilité en appliquant ces mesures.
Je fais ce choix en pleine connaissance des risques que je prends, mais surtout dans l’espérance de construire une école du respect, de la coopération, de la solidarité et de la réussite pour tous.
Je prends la liberté de faire connaître cette lettre et de l'associer à d'autres courriers similaires car elle s'inscrit dans une prise de conscience et une action collective de défense du service public d'éducation et des valeurs qui fondent notre école républicaine.
Cette action est une action constructive car dans le même temps il s’agit aussi de mettre en place des alternatives pédagogiques concrètes, raisonnables et efficaces
Monsieur l’Inspecteur, vous l’avez compris, cette lettre n’est pas dirigée contre vous, ni votre fonction, mais je me devais de vous l’adresser et de la faire connaître. Le propre de l’esprit responsable est d’agir à visage découvert, sans faux-fuyant, en assumant les risques inhérents à cette action. C’est ce que je fais aujourd’hui.
Je vous prie de recevoir, Monsieur l’Inspecteur, l’assurance de mes sentiments déterminés et respectueux.