Lettre d'une institutrice de Colomiers (31) à son inspecteur

Anne LOCONTE
Adjointe classe élémentaire

Classe de CM1

Ecoles Jules Ferry

31770 COLOMIERS

Colomiers, le 23 novembre 2008,

 

IEN de la circonscription HG17

 

Monsieur l'Inspecteur,

 

Je vous écris cette lettre car aujourd'hui, en conscience, je ne puis plus me taire. En conscience, je refuse d'obéir.

 

Les dernières « réformes » de l'Education Nationale ont été mises en place dans la précipitation, sans considération pour l'Ecole et ceux qui la font, sans réelle concertation avec les enseignants qui travaillent chaque jour à « élever » les enfants dont ils ont la responsabilité, qui, à chaque instant, réfléchissent aux moyens, à la pédagogie qu'ils doivent mettre en place pour permettre à tous les élèves d'apprendre pour comprendre, de se développer, de se construire. Elles ont suscité très vite, des inquiétudes, de la colère ou du découragement dans le monde enseignant. Mais toutes les formes d'expression de notre mécontentement reçoivent lettre-morte…

 

Comment ne pas se sentir méprisés quand, à la veille d'une soi-disant consultation des enseignants sur les nouveaux programmes, nous recevons des spécimens de manuels scolaires étiquetés « conformes aux programmes 2008 » ?

Comment ne pas se sentir méprisés quand, pour manifester nos points de vue, nos désaccords et nos convictions, en choisissant de perdre une journée de salaire, nous nous entendons dire que nous ne voulons que défendre nos petits intérêts ?

 

La liste est longue des mesures décidées et imposées par le gouvernement visant à démanteler l'Education Nationale, mesures qui vont à l'encontre des valeurs du service public et qui tendent vers une libéralisation de l'Ecole. Les discours démagogiques, populistes et méprisants ne cachent qu'une logique d'entreprise, une volonté de rentabilité économique qui ne saurait-être compatible avec ce que doit être l'Ecole publique.

 

Alain Refalo dans la lettre qu'il vous a adressée, liste les mesures qui nous interpellent, je les rappelle ci-dessous :

 

- Suppression de milliers de postes aggravant, bien sûr, les conditions d'enseignement parfois déjà bien difficiles…

 

- Diminution du volume horaire pour chacun des élèves (Que penser d'une société qui propose « moins » d'école ?)

 

- Alourdissement des programmes scolaires et dénonciation des pédagogies qui permettent d'enseigner à tous dans le respect de chacun…

 

- Suppression des IUFM (Quelle formation pour les maîtres ? Une spécialité disciplinaire ne peut suffire à enseigner…)

 

- Disparition des RASED

 

- Volonté de fragiliser les associations complémentaires de l'école (OCCE, PEP, CEMEA, etc.)

 

- Probable mise en place d'une agence chargée des remplacements utilisant des vacataires

 

- Création des EPEP qui rendent minoritaires du point de vue décisionnel les enseignants et les parents d'élèves

 

- Dévalorisation du métier d'enseignants de maternelle et menace qui pèse sur ces écoles avec la création des jardins d'enfants… 

 

Bien sûr, je pourrais choisir de me taire, je pourrais fermer la porte de ma classe et faire ce que l'on me demande (Tourner les pages d'un manuel « de qualité », jour après jour, imposer et faire mémoriser des savoirs en dépit du sens qu'ils ont, sans me soucier des élèves en difficulté considérant qu'ils ont suffisamment d'aide, deux heures par semaine…)

 

Ce serait tellement plus simple…

 

Mais je ne peux accepter sans réagir ce démantèlement des fondements de l'Education. En conscience, je refuse de me prêter par ma collaboration active ou mon silence complice à la déconstruction d'un système qui, malgré ses faiblesses, a vocation à éduquer, à construire les citoyens de demain que sont tous les élèves d'aujourd'hui.

 

- C'est pourquoi en conscience j'ai décidé de continuer à travailler dans l'esprit des programmes de 2002 qui mettaient l'élève au cœur de ses apprentissages, qui favorisaient la construction de sa pensée, qui permettaient la mise en place d'une pédagogie du respect et de la coopération qui offre à chacun la possibilité d'apprendre pour comprendre le monde et de s'y inscrire avec sa personnalité. De plus, je ne diminuerai pas dans l'emploi du temps de la classe les horaires des disciplines qui « questionnent ».

 

En toute humilité, je continuerai d'essayer de faire en sorte que les enfants aient le désir d'apprendre et d'être là, en classe, devant moi.

 

- A la rentrée de cette année scolaire, j'ai mis en place, dans l'urgence et tant bien que mal les deux heures d'aide-personnalisée pour les élèves de ma classe. J'avais, en fait, fait le choix de déplacer les temps de remédiation auparavant inscrit dans l'emploi du temps de la classe pendant ces moments d'aide-personnalisée. Le seul avantage de ce dispositif est qu'il me permet de ne pas avoir à intervenir auprès des autres élèves, mais…

 

- Ces conditions de remédiation manquent de souplesse et de plus, ne favorisent pas la coopération, le tutorat qui permettent souvent de dépasser les difficultés des élèves.

 

- Les enfants qui n'ont pas de difficultés perdent deux heures d'enseignement

 

- Ce temps ne permet pas d'aider réellement les élèves qui ont de grosses difficultés scolaires pour beaucoup liées à d'autres difficultés relationnelles, sociales ou comportementales…

 

- … Difficultés qui relèvent de l'aide-spécialisée des RASED dont la suppression est démagogiquement justifiée par la mise en place de ce dispositif.

 

C'est pourquoi, en conscience, dès la prochaine période, après en avoir parlé avec les enfants et les parents d'élèves, je prendrai ma classe entière pendant ces deux heures d'aide-personnalisée afin d'organiser des ateliers de besoin, des ateliers des savoirs… Je ne peux pas collaborer sciemment à la disparition des réseaux d'aide.

 

- Depuis l'an dernier sont proposés aux élèves de CM des « stages de remise à niveau ». Ce dispositif démagogique n'est pas adapté pour aider les élèves, il stigmatise les enfants en difficulté, en les privant d'une partie de leurs vacances… De plus l'offre aux enseignants de faire des heures supplémentaires défiscalisées justifie la suppression de milliers de postes et annonce le démantèlement de droits sociaux et une remise en cause des services publics.

 

C'est pour ces raisons qu'en conscience, je continuerai de refuser de transmettre des listes d'élèves pour ces stages de remise à niveau et que bien sûr je ne me porterai pas volontaire pour encadrer de tels stages.

 

- Le gouvernement propose des primes de 400 € aux enseignants qui feront passer dans leur classe des évaluations nationales. Bien sûr, il s'agit encore de diviser (pour mieux régner ?) les équipes pédagogiques. Ce budget ne pourrait-il pas être dépensé pour des actions concernant tous les enfants, tous les enseignants ?

 

Evidemment, en conscience, je refuserai de communiquer des résultats d'évaluations qui serviraient à réaliser des comparaisons et des classements ayant pour finalité de rentabiliser l'Ecole.

 

- Depuis la rentrée scolaire les enseignants et directeurs d'école ont dû remplir plusieurs tableaux rendant compte de notre temps de travail. Je considère qu'il s'agit là d'une nouvelle charge de travail qui montre de plus un déni de confiance inacceptable. Depuis que je suis enseignante je ne compte pas mes heures de préparation, de correction, de lecture, de réflexion, de rencontre avec les parents. Le contrôle exercé sur nous via ces tableaux nous pousse à compter… (et jusqu'à 108, c'est vite fait…) Notre métier peut s'en trouver réellement modifié et sans doute pas en bien…

 

En conscience donc, je refuserai de remplir dorénavant d'autres tableaux rendant compte de mes heures de travail.

 

- La loi sur le « service minimum d'accueil » dans les écoles les jours de grève est un dispositif de limitation  du droit de grève. La commune où je travaille a, pour l'instant, décidé de ne pas organiser ce service minimum. Je vous informe par cette lettre que quoi qu'il en soit, je détournerai le système en déclarant systématiquement mon intention d'être gréviste auprès de l'Académie, que je sois effectivement gréviste ou non. En revanche, bien qu'on ne nous l'impose pas, je préviendrai les parents de mon intention de faire grève.

 

Aujourd'hui, j'ai encore l'envie de faire ce métier, j'ai du plaisir à enseigner et je pense très sincèrement que c'est dans l'intérêt de mes élèves que je fais le choix de résister, de refuser d'appliquer des mesures que nous sommes nombreux à contester.

 

Je fais ce choix en pleine connaissance des risques que je prends, mais surtout dans l'espérance de construire une école du respect, de la coopération, de la solidarité et de la réussite pour tous. J'espère aussi que cette résistance trouvera écho et que collectivement nous empêcherons la mise en œuvre de ces réformes en trouvant la motivation et la conviction nécessaire à notre métier.

 

Monsieur l'Inspecteur, cette lettre n'est évidemment pas dirigée contre vous, ni votre fonction mais je me dois de vous l'adresser et de la faire connaître afin d'exprimer à visage découvert ma détermination et par là-même mon attachement à un service public d'éducation qui participe à l'émancipation des élèves et qui respecte ses personnels.

 

 

Je vous prie de recevoir, Monsieur l'Inspecteur, l'assurance de mes sentiments respectueux.

 

Anne LOCONTE



24/11/2008
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