Lettre d'un instituteur de St Calais (72) à son inspecteur

Saint-Calais, le 11 mars 2009

M. PILET Sébastien,                                 

enseignant-directeur                                 

Ecole Paul Bert                                                

72120 Saint-Calais                                       

  

à         

 Monsieur Jean-Claude ROUANET,                 

Inspecteur d'Académie,

Directeur des  Services Départementaux

de l'Education Nationale

 

à          Monsieur QUINTIN,                           

IEN adjoint à l'Inspecteur d'Académie,

 

s/c       Monsieur

MALAIZE,                   

Inspecteur de l'Education Nationale

circonscription de Château-Du-Loir

 

 

Objet : Evaluations nationales – stages de remise à niveau – Base Elèves

 

  

 Monsieur l'Inspecteur d'Académie,

  

 

            EVALUATION NATIONALES

 

            « Evaluation CM2 : une chance pour les élèves »,  « Le public aura accès, à partir                         du 27 février 2009, sur le site www.education.gouv.fr aux résultats globaux et anonymes nationaux, académiques et départementaux. » peut-on lire sur le site de l'IA de la Sarthe.

 

Où sont donc ces résultats tant attendus ?

 

Ceux de notre école, s'ils vous intéressent encore, ne vous seront pas transmis.

 

D'une part, j'ai uniquement évalué mes élèves sur des compétences effectivement travaillées                  en classe et, concernant les compétences qui n'auraient pas encore été travaillées, je me réserve              le droit de créer mes propres évaluations diagnostiques.

D'autre part je n'ai nullement l'intention de me mettre dans l'illégalité. En effet, le Ministère a bien déposé un dossier à la CNIL concernant la validité de l’anonymisation du fichier permettant                   la remontée des résultats mais a oublié (si l'on peut dire) d’attendre que la CNIL délivre                          le récépissé de déclaration. Il est donc de mon devoir de fonctionnaire de refuser d’obéir  à cet ordre illégal. En outre, ces résultats n'intéressent que les élèves, leur famille et moi même.

 

 

            STAGES DE REMISE A NIVEAU

 

            Un autre point me fait également réagir : la mise en place des stages de remise à niveau. Rien que leur intitulé me fait bondir. Comment peut-on imaginer un seul instant que les difficultés scolaires que peuvent rencontrer des élèves, en français et en mathématiques, se résorberont                 avec une simple remédiation de quelques heures.

            En effet, la prise en charge de ces enfants nécessite un travail d'équipe et pour cela il faudrait avoir du temps pour se concerter convenablement, or la mise en place de l'aide personnalisée, entre autres choses, prend beaucoup de temps et d'énergie aux équipes pédagogiques.

 

            Bien souvent aussi, les difficultés scolaires, en français et en mathématiques,   cachent souvent aussi des difficultés dans d'autres domaines de compétences que nous ne pouvons résoudre sans l'aide des maîtres spécialisés des RASED. Or, si j'ai bien compris il n'est pas dans les projets d'ouvrir de nouveaux postes de maîtres spécialisés...


C'est pourquoi, en tant que directeur d'école, je vous informe, Monsieur l'Inspecteur d'Académie :

-         que je n'informerai pas les familles de ce dispositif

-         que je ne participerai pas à la sélection d'élèves de CM1 et CM2, ni dans ma classe, ni dans les autres classes de l'école

-         que je n'établirai pas de bilan de compétences en français et en mathématiques d'élèves  qui aurait été désignés dans ma classe à mon insu

-         que je ne me porterai pas candidat, cela va de soi, pour encadrer de tels stages

-         que je ne participerai, en aucun cas, à leur mise en place pratique avec la Mairie

 

 

BASE ELEVES

 

 

            En tant que directeur d’école, je suis également confronté à un autre point qui ébranle ma conscience professionnelle : on voudrait m'obliger à utiliser la banque de données « Base Elèves ».

 

            Or, je ne peux cautionner la mise en place opaque d’une base de données nationale  ne prenant pas en compte l’information aux parents d’élèves.

            Je refuse que le fichage de mineurs soit considéré comme une simple formalité administrative. Quotidiennement nous élaborons avec nos élèves et leur famille une relation                   de confiance. Si l'administration prend le risque de se passer de toute autorisation parentale,  moi, en tant qu'enseignant-directeur, je le refuse.

 

            C'est pourquoi, et j'imagine que vous le savez déjà, j'ai refusé de récupérer la clé OTP permettant d'entrer les données dans Base Elèves. Je tiens à rappeler dans quelles conditions             cela s'est passé : on nous invite à une soit-disant « action de formation sur le thème Base Elèves », en réalité on nous impose de signer un document approuvant la récupération de la dite « clé »,  et l'on passe le reste de la matinée à entrer concrètement dans le dispositif.

 

            En outre, le marché conclu avec la société irlandaise « RSA Sécurity Ireland » concernant « l'acquisition de licences et l'intégration d'une solution d'authentification de composant à "mot de passe à usage unique" sous l’appellation OTP ainsi que la fourniture de clés de sécurité » engendre un coût  qui dépasserait 3 000 000 € HT !

 

            Par ailleurs, dans un courrier du 6 février 2009, l’Organisation des Nations Unies demande  à la France « de [lui] communiquer par écrit des renseignements supplémentaires et  à jour, si possible avant  6 avril 2009. »

 

Point n° 6 : « S’agissant [...] du dispositif  « Base-élèves 1er degré » veuillez préciser à quelle mission de service public servira le stockage au niveau national de données nominatives et indiquer les raisons pour lesquelles le droit d’opposition prévu par la loi ne s’applique pas à ce dispositif. Veuillez également informer le Comité des conséquences éventuelles que pourrait entraîner le refus des parents de fournir les informations requises sur leurs enfants. »

J'attends la réponse de la France à l'ONU... 

            Enfin, je ne comprends pas que les directeurs d'école de France ne soient pas tous traités   de la même façon. Le 3 février dernier,  l'Inspection Académique de l’Isère a décidé de démettre          de ses fonctions, Jean-Yves Le Gall, directeur de l’école primaire de Notre-Dame-de-Vaulx,  qui refusait d’enregistrer des informations dans la base de données.

 

Je réclame, Messieurs les Inspecteurs, que tous les enseignants soient traités de la même façon.

 

Les règles ne doivent pas être différentes d'une Académie à une autre.

 

      

            Au cours de l'entretien ferme et courtois auquel vous m'aviez convoqué le jeudi 22 janvier, vous m'aviez proposé de faire comme Célestin Freinet : claquer la porte de l'Education Nationale si le poids de l'institution m'était insupportable, et créer ma propre école.

 

Or, je refuse de m'enfermer dans une école alternative qui serait a fortiori non ouverte à tous (privée ou semi-privée). Je souhaite avant tout rester enseignant d'une école publique, laïque, républicaine, au service de tous les enfants.

            

            Sachez enfin, que je ne suis toujours pas résigné. Je crois encore, malgré tout, en mon métier d'enseignant. C'est pourquoi aussi, en conscience, je continuerai à m'exprimer librement. 

 

            Recevez, Monsieur l'Inspecteur d'Académie,

            l'assurance de mes sentiments déterminés  et respectueux.

 

  

Sébastien PILET, 

enseignant-directeur



28/03/2009
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