Lettre d'enseignants désobéisseurs parisiens à leur inspecteur
Monsieur,
Votre dénonciation a porté ses fruits. Ma paye du mois d’avril a été réduite de 6/3oè soit 426 euros retirés. On peut dire que vous avez bien exécuté les demandes du « Père Fouettard » de l’Académie dans son intention de porter sur quelques boucs émissaires une sanction censée intimider les centaines d’enseignants qui refusent de cautionner ce que leur conscience professionnelle réprouve.
Pour ne pas parler des milliers qui ne font rien, sans rien dire, et sur lesquels les IA ferment les yeux du moment que ça ne se sait pas !
Vous avez bien cautionné le règne de l’hypocrisie, de l’incohérence et du mensonge, pour détruire ce que l’on vous demandait de défendre il n’y a pas si longtemps, et pour entretenir cette politique de division et corrosion des collectifs de travail qui est pourtant la condition sine qua non de la bonne marche de l’école.
Hypocrisie car on sait bien que l’AP n’a d’autre sens que d’être un alibi à la suppression des RASED, puisqu’on nous demande simplement de déclarer que l’on fait cette AP (quoi_que l’on fasse réellement par la suite !), puisque l’on sait que bien peu font cette AP demandée par le ministre.
Incohérence, car par exemple chaque échelon d’autorité adapte à sa façon, s’accommode selon les circonstances et les rapports de force, interdit ce que tel autre accepte, accueille tous les compromis ou s’en prend à certains qui « dérangent ».
A Marseille, l’IA sanctionne de 32/30ème de retrait de salaire des enseignants qui ont mis en place un club de théâtre subventionné par la mairie sur ce temps de l’AP, mais que l’IA juge « activité occupationnelle sans aucun rapport avec les instructions officielles et sans corrélation avec les besoins éducatifs des élèves ». Et, certains de vos collègues veulent que nous emmenions les enfants au musée le mercredi !
Mensonge, car c’est un élément essentiel de la rhétorique ministérielle qui n’avance ses arguments que par accumulation de mensonges (par intention, omission, dénégation, occultation) puisqu’elle ne tient que par l’absence de tout caractère sensé et raisonnable.
Et cela depuis le début, dès le lancement des « nouveaux programmes » justifiés par une formidable dénégation :« L'élaboration a été assez lente, avec l'inspection générale de l'enseignement primaire, des savants, des professeurs au Collège de France, ces programmes n'ont pas été décidés sur un coin de table de cuisine ».
Quand on sait qu’au contraire le ministère a évincé, contourné et même disqualifié l’ensemble des organismes, dispositifs, structures habituellement habilitées et expertes à la réflexion, recherche, négociation pour l’élaboration des programmes.
Qu’il a volontairement, par l’instauration annoncée et revendiquée « d’une nouvelle méthode de travail » qui met en avant la seule autorité d’un individu inspiré par des officines réactionnaires occultes nourries par la seule nostalgie de mythes indigents, évité le recours à l’expertise produite par les véritables acteurs de l’éducation, depuis le Conseil National des Programmes jusqu’à l’ensemble des associations de chercheurs, de didacticiens, de scientifiques, de pédagogues.
Et pourquoi ceux-ci ont-ils tous récusés ces pseudo-nouveaux programmes ?
La Commission Permanente des IREM écrivait ainsi un argumentaire à Darcos se concluant par :« le caractère simpliste, infondé et contradictoire de ce projet, que nous dénonçons ici en ce qui concerne les mathématiques, nous conduit à en demander l’abandon immédiat » ?
L’Association pour la Recherche en Didactique des Mathématiques a fait une même déclaration très instructive le 4/03/08 .
Quant aux constats formulés par les associations de didacticiens en français ou histoire –géo pendant la phase de pseudo consultation, ils rejoignent les mêmes conclusions, en parlant de « formidable régression pédagogique, disciplinaire et didactique » !
Pourquoi même parmi les quelques rares personnes qui avaient accepté d’être citées nommément comme « autorité garante de la validité » de ces programmes, mais non consultées pour la rédaction, on note des réticences ou des silences réservés ?
Voir par exemple la réaction de Pierre Léna de l’Académie des Sciences partisan du programme « La main à la pâte » qui a désavoué la pédagogie béhavioriste promue par le ministre.
Darcos, bien en peine pour trouver du soutien à l’intérieur de son propre ministère, a mis en avant la signature de Viviane Bouysse, celle qui défend si ardemment les programmes de 2002, alors même que L’IGEN a été écartée de la rédaction !
Mensonges encore pour fabriquer un alibi à sa « contre-réforme » en faisant dire aux évaluations ( nationales, PIRLS et PISA) tout à fait autre chose que ce qu’elles disent réellement.
On se souvient que le ministre n'avait pas hésité à se rendre ridicule en affirmant pour le « Préambule du projet de programme » pour l'école primaire le caractère « incontestable » de l'évaluation comme outil de mesure des résultats. Prétention particulièrement roublarde ou imbécile quand on sait que les coulisses de leur fabrication relèvent plus du champ de bataille, des luttes d'influence, des calculs stratégiques, de l'application de politiques préconçues. Les processus de construction des différents dispositifs révèlent au contraire l'extrême partialité qui préside au choix des critères, contenus, formats, finalités où l'on sent bien que ce qui compte avant tout c'est le rôle politique que l'on veut faire jouer à cette forme de tri.
Invoquer « l'objectivité » de l’évaluation de manière réitérée est avant tout une technique de camouflage, pour dissimuler une perspective de construction, transformer un dispositif de production en révélation de vérités préexistantes, effacer les traces des intermédiaires qui déterminent le résultat produit, et pour mettre à distance un public passif dénué de tout statut d'acteur dans la production de connaissance, celui qui bien au contraire devrait être le principal intéressé. L'invocation grossière de l'objectivité renvoie surtout au recours à la standardisation de procédures traitant chacun de la même manière, s'appliquant uniformément indépendamment des circonstances, visant à transformer les sujets apprenants en objets à conformer aux attentes d'un pouvoir prescripteur très fort enfermé dans un schéma hylémorphique réducteur. Le choix, la volonté insistante pour définir l'évaluation comme « mesure objective » des acquis, de la performance, de l'activité, est une opération de légitimation qui joue un double jeu: faire croire à la neutralité de l'instrument en occultant ses présupposés et dissimuler sa véritable fonction.
Et il n’est pas nécessairement besoin de lire les travaux de Mons, Bodin, Chatel, Bautier,Rochex, Bain, Bottani, ou les travaux de Lise Demailly sur les liens entre évaluations et processus de gouvernementalité pour s’en rendre compte !
"À l'heure où les pays développés cherchent à comparer la performance de leurs systèmes éducatifs, la France ne peut rester insensible aux rapports officiels et aux évaluations internationales qui soulignent, chaque année, la médiocrité des résultats de son école primaire."(Xavier Darcos , mercredi 20 février 2008) (argument que l’on retrouve curieusement dans la bouche de tous les ministres européens de l’éducation en mal de recherche d’arguments pour justifier des politiques de dérégulation des services publics, quand on sait au contraire que les « résultats » se jouent dans un mouchoir de poche et que les 9/10ème des variances se jouent à l’intérieur d’un pays, sachant que les systèmes éducatifs (re)produisant le plus d’inégalités produisent aussi le plus d’échec aux tests)
Et second point selon Darcos, les évaluations « prouveraient » que ce sont les « fondamentaux » qui manquent.
Or c’est justement le contraire ! Les élèves français réussissent mieux justement pour prélever des informations dans un document ou restituer des connaissances que pour aborder des situations qui sortent du cadre scolaire, celles qui demandent sous l'intitulé " réagir" de développer la capacité à l’argumentation. Ce que notent même les rédacteurs du rapport de la DEPP consacré aux résultats de l’enquête PISA 2003 (MEN-DEPP, 2007) : « les points faibles des élèves français semblent résider dans la capacité à effectuer des généralisations (par exemple, établir une formule) et, de façon générale, à prendre des initiatives sans se référer à un schéma connu ».
On sent bien que le ministre ne retient des évaluations que les raccourcis caricaturaux fournis par la presse.
Et puis, 4ème méthode, le « truquage » des chiffres, pour reprendre le terme choisi par les propres statisticiens des services ministériels dont les travaux sont actuellement censurés et qui sont obligés de publier de manière indépendante anonyme les résultats de leurs enquêtes publiques! On sait qu'une vingtaine de « Notes d'Information » de la DEPP sont bloquées parce que leurs chiffres ne collent pas avec les discours du ministre. (cf. Lorraine data : le grand truquage, La Découverte, mai 2009)
Comme ces instructions écrites, pressions directes ou indirectes des IA-DSDEN sur les IEN CCPD pour gonfler les statistiques des remontées des évaluations CM2 : transformer les fichiers des résultats renseignés par les directeurs d’école, notamment ceux qui ont intégré un code 2 validant des compétences partielles, ou bien à transformer les codes A en 0 ou en 1 pour faire remonter les scores. Ces instructions, accompagnées de menaces délivrées par les IA-DSDEN s’apparentent à une demande de production de faux en écriture publique. (cf.communiqué du SNPI-FSU du 12/03)
Ces évaluations ont été un tel fiasco qu’il s’agit maintenant de « maquiller », comme on dit dans le «milieu », toute l’opération !
« Le nouveau protocole d'évaluation nationale a été calé sur les nouveaux programmes de la réforme du primaire » annonçait en décembre le directeur de la DGESCO.« Si les programmes 2008 se suffisent pratiquement à eux-mêmes, nous y avons associé un dispositif d'évaluation dans l'objectif de piloter le système éducatif, ce qui est assez nouveau pour le 1er degré », les évaluations ont pour priorité de « mesurer les acquis des élèves en fonction des programmes » (R.Macron).
Dans ces conditions, il s'agissait visiblement pour Darcos d'un test uniquement conçu pour valider ses à priori politiques et son jugement sur l'état de l'école, dans le seul but de donner un semblant d'alibi à sa contre-réforme : d'ailleurs, au vu de la construction et du contenu des épreuves, c'est un peu comme si les résultats avaient été écrits d'avance, résultats dont on se demande bien ce qu'ils peuvent signifier.
En changeant tout dans les items, cette évaluation-sanction ne peut offrir aucun point de comparaison avec les précédentes. Bref, même les experts de la DEPP n'y comprennent plus rien; on est encore dans le cas de figure où c'est le cabinet du ministère qui a tout dirigé, bricolé une évaluation, avec un résultat dont on se demande s'il ne sert pas juste à garantir un échec massif, à produire des différenciations importantes entre écoles, culpabiliser, affaiblir et diviser les enseignants. L'absence totale de visée pédagogique, ou même simplement informative, est bien sûr ce qui a soulevé ce mouvement important de contestation.
Le décalage complet entre les prétentions affichées du « test » , « mesurer des acquis », « produire un indice d'efficacité » et les effets réels du dispositif, inadapté, injustifié, volontairement sanctionneur, même pas conforme à sa propre définition:faire le bilan d'une transmission, a pu être ressenti comme une véritable provocation par les enseignants.
Et plus encore l’affichage des résultats sur le site du ministère, pure opération de propagande pour se persuader que tout s’est bien passé, frise le ridicule quand on sait que la diversité extrême des conditions de passation fausse toute l’opération, dont le sens se résume peut-être à ce qu’en dit un inspecteur :
« Il aura servi à répéter que tout ce qui a été fait avant 2007 était mauvais et que le pouvoir actuel a enfin trouvé la solution qui s’impose : la réduction de la semaine scolaire qui a permis l’organisation d’un soutien qui ne coûte rien à l’Etat. Mais pourquoi diable personne n’y avait pensé avant ! Il aura servi, à travers un consensus artificiel sur le soutien, à obtenir habilement une approbation tacite de toutes les mesures prises : nouveaux vieux programmes, semaine de 4 jours, fin de la formation professionnelle des enseignants… On se battra encore pour les postes. Pour le reste… on dira, on dit déjà ici ou là, que ce n’est pas très important et on cautionnera l’irréversibilité souhaitée par le pouvoir . »
(http://www.cafepedagogique.net/lexpresso/Pages/2009/04/EvaluationetSoutien.aspx)
Pour finir, l’abus de pouvoir !
Quand toute légitimité a disparu, que l’équilibre légal devient gênant pour imposer à tout prix des règles manifestement nuisibles à l’intérêt général, l’abus de pouvoir se répercutant en cascade tout le long de la chaîne hiérarchique devient le dernier recours systématique d’un pouvoir aux abois prêt à remettre en cause des « libertés fondamentales » pour parvenir à ses fins, comme nous l’avons vu en janvier (cf. affaire Boussac contre rectorat de paris, 09/01/2008, n°0900058, Tribunal Administratif de Paris).
Comme le disait à ce propos Ph.Meirieu s’adressant au ministre : « C’est une constante malheureuse, en effet, de notre système scolaire que cet empressement des cadres intermédiaires à anticiper et à radicaliser les intentions supposées du chef en croyant s’acheter ainsi une assurance-vie. Il vous faut absolument les calmer ! Au risque de jacqueries sans fin ou, bien pire encore, d’un découragement généralisé du corps enseignant tout entier. »
Dans ces conditions, sachez qu’il y a matière à interrogation quant à savoir qui obéit aux lois de la République et au code de l’Education, surtout chez ceux censés en être les garants !!!
On nous accuse de ne pas « obéir », d’être « désobéissants ». Mais nous pourrions tout à fait utiliser l’argument de rétorsion pour démontrer la fausseté de l’imputation. Et c’est d’ailleurs ce que nous ne manquerons pas de faire au tribunal. Mais bien sûr, ça n'est pas essentiellement sur le plan juridique que se place la légitimité de notre position avant tout éthique! Qui nous vaut le soutien de ceux que nous reconnaissons : « J’espère de tout coeur que vous réussirez dans votre action juridique. Oui, vous pouvez compter sur mon soutien sans retenue pour toutes les actions que vous déciderez de développer, y compris au cours de conférences de presse que vous jugerez utiles ou nécessaires. Ainsi que je l’ai écrit à votre collègue d’Indre et Loire, j’accepterai de contribuer à votre défense devant les juridictions concernées. Cela m’est déjà arrivé deux fois en qualité de “sachant”. C’est ainsi qu’on “surnomme” ceux qui sont supposés savoir mieux et plus que les autres (les supposés experts !).
J’observe que vos collègues et amis “désobéisseurs” sont très mobilisés et déterminés sur tout le territoire national. Courage. Bien cordialement à vous. Hubert Montagner »
Ce que nous contestons, ce sont des circulaires, décrets, ordres, oukases et autres lubies néfastes de quelques individus malintentionnés incapables de défendre leurs noirs desseins autrement que par le mensonge, l’intimidation, la menace, le travestissement des faits.
L’IA nous accuse de « service non-fait » !
Mais c’est une redoutable confusion dont nous avons montré l’inanité dans notre projet d’école pour l’organisation des 60 h. Une autre modalité d’application n’a rien à voir avec un « service non fait » !
Coïncidence : c’est au moment même où notre investissement est le plus fort en temps et en énergie dans un projet coopératif visant à opérer des changements significatifs dans ce que peut signifier « apprendre ensemble », que s’applique à l’inverse l’adage ministériel : travailler plus pour gagner moins !
Tout ça n’est que l’application d’une inégalité de traitement qui contrevient elle aux lois de la République.
Monsieur, j’espère que vous voudrez bien croire en mon profond dévouement pour un véritable service public d’éducation pour tous.