Lettre d'enseignants de l'école maternelle G. Courbet de Nîmes (30) à l'inspecteur d'académie
Ecole maternelle Gustave Courbet,
30 000 Nîmes
Guilhem JACOT, Sylvie GARCIA, Armelle LEMAIRE, Laurence FONTANA, Christine NEGRE, Corinne DEMILLY, Edith VIGNE,
Professeurs des Ecoles, enseignants adjoints,
Josette MENUT, Professeur des Ecoles, Directrice de l'Ecole.
Objet : lettre de résistance pédagogique pour l'avenir de l'école
A Monsieur l'Inspecteur d'Académie du Gard,
s/c Madame l'Inspectrice de l'Education Nationale Nîmes 1
Monsieur l'Inspecteur d'Académie,
Nous vous adressons ce courrier car aujourd'hui, en conscience, nous ne pouvons plus nous taire ! En conscience, nous refusons d'obéir !
Le démantèlement du service public d'éducation est un processus que nous ne pouvons accepter sans réagir. L'objet de notre lettre est de vous informer que nous ne participerons pas à ce démantèlement. En conscience, nous refusons de nous prêter par notre collaboration active ou par notre silence complice à la déconstruction du système éducatif de notre pays.
Les nouveaux programmes constituent une régression sans précédent. Dans la mesure où les programmes de 2002 n'ont fait l'objet d'aucune évaluation sérieuse et que d'autre part nous ne savons toujours pas qui a élaboré et rédigé les programmes 2008, d'ailleurs sans aucune concertation digne de ce nom, nous sommes en présence d'un déni de démocratie et de pédagogie. Nous estimons que ces nouveaux programmes tournent le dos à la pédagogie du projet qui permet aux élèves de s'impliquer dans les savoirs, de donner du sens à ce qu'ils font, de trouver des sources de motivation dans leur travail. Cette vision mécaniste et rétrograde des enseignements va certainement enfoncer les élèves en difficulté et accentuer encore l'échec scolaire. Ces programmes sont conçus pour pouvoir fournir des résultats « quantifiables, publiables et comparables ». Nous sommes bien dans une logique d'entreprise et de libéralisation de l'école. Au contraire, nous pensons que nous avons besoin d'une éducation qui permette à l'enfant de se construire en tant qu'individu et citoyen inscrit dans une société démocratique.
C'est pourquoi en conscience, nous avons décidé de ne pas appliquer les nouveaux programmes et de continuer à travailler dans l'esprit des programmes de 2002.
La question des rythmes scolaires est au cours du débat sur le dispositif de l'aide personnalisée. L'instauration brutale et sans concertation de la semaine de quatre jours, en dépit des préconisations des chrono-biologistes, est une catastrophe au regard de ses conséquences. Cette question nécessite une réelle réflexion entre tous les partenaires de l'école (enseignants, parents et chercheurs). Le seul but doit en être le bien-être et l'épanouissement des enfants. Au lieu de cela, le passage de 26h à 24h hebdomadaires représente un manque très important si on le rapporte à l'ensemble du parcours de l'école primaire. D'autre part, le dispositif d'aide personnalisée ne répond pas aux besoins des enfants pris en charge par les maîtres spécialisés (enseignants spécifiquement formés). En revanche, il constitue un prétexte démagogique pour supprimer ces postes RASED. La suppression de ces milliers de postes échappera à l'opinion qui connaît mal le travail de ces maîtres et qui pourra se satisfaire de l'effet d'annonce de l'aide personnalisée.
Nous nous engageons donc à suspendre dès à présent l'aide personnalisée après avoir informé les parents d'élèves. Nous remplacerons cette aide par un travail en présence des élèves, travail qui ne peut en aucune manière se substituer à l'action des maîtres spécialisés des RASED.
Les stages de remise à niveau pendant les vacances scolaires à destination des élèves de CM1 et CM2 sont eux aussi des dispositifs scandaleux et démagogiques destinés à satisfaire une partie de l'opinion publique. Mis en place sous le motif populiste qu'il est anormal que seuls les riches peuvent se payer des heures de soutien scolaire, ces stages ne règleront en rien l'échec scolaire. Ils sont destinés à appâter les enseignants qui souhaitent effectuer des heures supplémentaires avec bonne conscience, alors que dans le même temps des milliers de postes sont supprimés, aggravant ainsi les conditions de travail dans les écoles. Ce type de stage devrait être assuré par des associations habilitées. La prime donnée aux enseignants reviendrait ainsi de droit à ces associations ; associations qui se voient amputées de plus en plus des subventions d'Etat et qui ferment donc leur porte les unes après les autres, notamment dans les quartiers sensibles où leur rôle est pourtant primordial auprès des enfants et des familles en difficulté. De plus, dans un souci de respect des rythmes de l'enfant (particulièrement les enfants en difficulté), nous estimons qu'il est nécessaire que ces enfants puissent continuer à bénéficier d'un temps de repos mérité pendant les vacances.
Nous nous engageons donc à ne pas participer à ces stages et ne pas transmettre de listes d'élèves.
La loi sur le service minimum d'accueil remet gravement en cause notre droit de grève. Là aussi il s'agirait de répondre à une demande sociale. Mais nous n'avons pas constaté comme la très grande majorité de nos collègues que ce soit une préoccupation majeure des parents. Par contre ceux-ci s'inquiètent du manque chronique de remplaçants dont le nombre baisse avec la diminution drastique des postes opérée, depuis trois ans, dans le premier degré.
Nous déclarons donc que nous n'enverrons plus de déclarations d'intention préalable de grève et que nous informerons les parents, trois jours avant, de notre intention de faire grève.
Le fichage généralisé que constitue l'enregistrement des élèves et de données les concernant, à travers le dispositif Base-élèves n'apporte rien d'un point de vue pédagogique ou de gestion d'école. Cela nous apparaît être au contraire une atteinte fondamentale aux libertés individuelles et entre profondément en conflit avec notre éthique professionnelle et notre morale personnelle.
Nous nous opposons au fichage systèmatique de nos élèves dans l'application Base-élèves et nous soutenons les directeurs et directrices qui refusent de la mettre en place.
Les évaluations nationales mises en place cette année en CE1 et CM2, dont les résultats serviront à classer les écoles, et la suppression de la carte scolaire permettront aux parents de choisir leur école, encore une fois dans une logique de libéralisation. Ceci va à l'encontre des principes républicains de notre école. Le procédé d'organisation de ces évaluations qui s'accompagne d'une prime de 400 euros servant à acheter les enseignants de ces niveaux de classe est proprement scandaleux. Il ignore le travail de tous les enseignants en amont de ces évaluations et essaie de diviser les équipes pédagogiques avec des considérations financières alors que le temps d'évaluation fait partie de notre métier d'enseignant.
Nous soutenons les enseignants qui s'engagent à ne pas communiquer les résultats de ces évaluations à l'extérieur de leur école.
L'Education Nationale a de plus en plus recours à des emplois de personnes non-titulaires, dont la précarité augmente à chaque nouveau contrat (Assistant d'Education, CAV, CAE). Leurs conditions de travail (salaire, durée de contrat, absence de statut, formation, etc.) sont inacceptables. Dans cette perspective, nous estimons que la création de l'agence nationale de remplacement des professeurs, qui fait appel à des personnels non formés, remet gravement en question la qualité de l'enseignement apporté aux enfants d'une part, et le statut de fonctionnaire d'Etat d'autre part. De plus, cette agence enferme ces personnels dans des emplois précaires.
Nous nous engageons donc à ne pas cautionner cette précarité et à la dénoncer.
Nous faisons ces choix en pleine connaissance des risques que nous prenons, mais surtout dans l'objectif de participer à la construction d'une école de l'égalité des chances, de la réussite pour tous et de l'éducation au respect, à la solidarité, à la citoyenneté.
Nous sommes certains que vous comprendrez, Monsieur l'Inspecteur d'Académie, que cette prise de position n'est pas dirigée contre vous. Nous espérons qu'elle sera partagée par le plus grand nombre de collègues possible et vous persuadera de la gravité de la situation telle que nous la percevons. Nous croyons ainsi que vous pourrez d'une manière ou d'une autre témoigner en notre faveur de cette résistance auprès de M. le Ministre.
Nous vous prions de croire, Monsieur l'Inspecteur d'Académie, à notre engagement sincère et notre attachement à l'Ecole de la République ainsi qu'à nos respectueuses salutations.