L'école primaire, terrain d'un combat asymétrique, Sébastien Rome

L'école primaire, terrain d'un combat asymétrique

par Sébastien Rome, instituteur  

site Médiapart

L'objectif prioritaire de Nicolas Sarkozy et Xavier Darcos en matière d'éducation était de mettre au pas les syndicats d'enseignants. Bien que cette mission soit pour l'instant remplie, même si les manifestations du 19 janvier amorcent un retournement de situation, le monde des enseignants du premier degré est plus que jamais bouillonnant. Désobéissances, micro-contestations multipliées par milliers, débrayages, luddismes, manifestations locales...A trop se satisfaire de leur victoire sur les syndicats, notre Président et notre Ministre risquent de laisser un champ de ruine derrière eux où tout le monde sera perdant. A moins qu'une nouvelle forme de lutte ne soit en train de s'inventer.

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Premier billet d'une série de quatre.

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Quelques éléments d'un passé presque oublié.

Pendant deux ans la stratégie d'actions réformatrices de Nicolas Sarkozy a été d'aller vite et fort. Il impressionnait les « forces conservatrices de la société »par sa brutalité exprimée au travers d'une capacité à « rompre les tabous » et à faire ce que personne n'avait eu « le courage » de faire avant lui. Les « partenaires » sociaux fréquemment invités à négocier ou à être entendus, allaient, de manière « responsable », à tous les rendez-vous estimant qu'il était préférable de savoir à quelle sauce « nous » serions mangée mais aussi dans l'espoir d'arracher quelques « avancées ».

C'est comme cela que se sont déroulées les discussions sur l'Aide personnalisée, fille de la suppression du samedi matin. Au terme de sept réunions de travail, le Se Unsa et le Sgen-CFDT ont signé un relevé de conclusions commun avec le Ministère en présentant leur action comme une avancée ! Il est d'ailleurs cocasse de relire les lignes suivantes « Ces deux heures viennent renforcer l'action des maîtres et la différenciation pédagogique qu'ils mettent en œuvre dans la classe avec, le cas échéant, la participation d'autres maîtres, notamment les enseignants spécialisés des RASED ». On comprendra aisément pourquoi le ministre s'est coupé sans appel du monde de l'enseignement primaire même avec les syndicats les plus « ouverts » au dialogue. Dans un style purement sarkoziste, et qui a surpris plus d'un connaisseur du monde de l'éducation, Xavier Darcos s'est livré à quelques fantaisies sur la maternelle ou sur les manifestations de 2007-2008 (cliquez ici pour un exemple d'article de l'époque) C'était « la fin de la co-gestion » où les syndicats étaient écoutés mais pas entendu.

Ainsi, face à l'avalanche de réformes les syndicats n'arrivaient plus à faire et, sitôt une réponse commençait à être organisée suite à une annonce, un autre sujet surgissait, les déstabilisant à nouveau. Xavier Darcos, en habile connaisseur de la « maison », comme la presse le surnomme, parvenait à doser ses réformes pour rendre les contre-attaques ridicules aussi bien sur les maternelles ou les RASED. Il y a quelques jours encore, interrogé sur France Culture par Claude Lelièvre sur les enseignants désobéissants, il répondait, facilement à une remise en cause de sa politique par les « désobéisseurs », « qui peut croire que d'offrir deux heures d'aide à des élèves en difficulté, c'est les mettre en danger ». En effet, qui peut croire...Enfin, décrivant le sentiment des syndicats, une délégués syndicale concluait une de nos conversations par un « c'est la guerre ».

Est-ce l'image d'une escadrille de bombardiers ultra modernes pilotés par Darcos et Sarkozy pilonnant des enseignants en fuite ou cachés décrirait au mieux la situation ?

On peut garder de cette image une idée : lorsque les forces sont disproportionnées dans un combat militaire, les « petits » ne parviennent à la victoire qu'à la condition de mener une « guérilla », ici démocratique, cherchant à atteindre le talon de l'adversaire plutôt que son front avec un lance pierre (on ne connaît qu'un seul cas de réussite...). On peut presque, à coup sûr, dire que le fort peut l'emporter sur le terrain, en faisant passer ses réformes, tout en perdant politiquement.

Au printemps 2008, les syndicats estimaient que tout le monde avait baissé les bras, était devenu individualiste, pour preuve, les syndicats n'attiraient vraiment, le gouvernement se servait de cet état de fait pour disqualifier la parole syndicale qui ne représentait plus rien. Je suis encore aujourd'hui d'avis contraire, car il y a manifestement une volonté de s'engager autrement, sans suivre les syndicats. Les syndicats sont appelés à s'engager avec ces francs-tireurs sans prendre la tête du mouvement. Il y avait un ras-le-bol des grèves sans lendemain et là encore Xavier Darcos a raison de se moquer de la « grévinnionité aigüe » des enseignants qui pouvaient parfois aller jusqu'à manifester pour défendre des « acquis » pédagogiques contre lesquels ils avaient manifesté quelques années plus tôt. Cette volonté de s'engager sans syndicats a des conséquences paradoxales dont ni les syndicats, ni les francs-tireurs ont une parfaite conscience.

les luttes sociales asymétriques

L'été passa et l'année 2008-2009 a vu naître les premières formes de ce que l'on pourrait nommer les luttes sociales asymétriques. Essayons de comprendre ce qui est en train de se passer.

Les syndicats affaiblis échouent à rassembler les foules lors des manifestations du début d'année 2008. Les manifestions sur le thème « une école votre avenir » du 10 décembre 2008 et du 17 janvier 2009 sont aussi des échecs. Par contre la manifestation, sur le même thème du 19 octobre, et la grève et la manifestation du 20 novembre 2008 sont réussies. Les grèves et manifestations du 29 janvier dernier sont aussi à mettre dans la colonne crédit car, les enseignants du premier degré étaient très présents. Par ailleurs, les actions hors syndicats (nuit des écoles, collectifs parents-enseignants, manifestations locales, occupation d'écoles...), voire remettant en cause les habitudes syndicales, comme l'exprime Alain Refalo, l'initiateur de la désobéissance pédagogique, se multiplient localement.

N'assistons-nous pas au travers de ce localisme à l'expression informe d'une profession gagnée par l'anomie ? Quelle est la cohérence d'un mouvement qui se cherche une forme et qui oscille entre fort engagement et désertion ?

Le concept de luttes sociales asymétriques fournit, je crois, un bon moyen de saisir unité du mouvement. Aucune contestation sociale (ni même aucun acte social) ne peut se penser autrement que la combinaison d'actions d'individuelles locales et d'actions collectives générales. Si la puissance du PCF et de la CGT d'antan a souvent été interprétée par l'uniformisation de la pensée et de l'action qui effaçait l'individu dans la masse comme à la limite de la mer un visage de sable (ceci n'est pas une citation mais un emprunt), on ne doit pas pour autant oublier les raisons profondes d'un mouvement qui marqua le XXième siècle : l'espoir d'individus qui, guidés par le sentiment que l'action collective permet de prendre une revanche sur la vie qui ne les a pas épargnés, choisissent le sacrifice et la lutte collective pour offrir un avenir à leur enfant.

On pourrait résumer ainsi les choses : l'action collective donnait une forme et un sens à l'action individuelle. Ce n'était qu'à la condition de créer des organisations massives que l'on pouvait combattre à jeu égal avec les puissants.

Nous sommes exactement dans le cas inverse aujourd'hui : l'action individuelle donne une forme et un sens à l'action collective. Chaque individu, en sa conscience (« en conscience, je refuse d'obéir » écrit Alain Réfalo), détermine s'il juge bon d'agir. Si aujourd'hui, ce ne sont que 2000 lettres individuelles de désobéissances qui ont été signées (2000 personnes qui risquent les sanctions pour défendre des valeurs) le mouvement de contestation des réformes du premier degré dépasse largement les 2000 personnes. C'est ainsi que, sur la seule ressource des individus épars, des actions surgissent d'un peu partout. Les blocages d'évaluations CM2 n'ont rien eu de concertés. Les nuits des écoles sont lancées par quelques uns et suivies selon le gré des vents informationnels d'Internet.

Ce qui illustre au mieux cette manière d'agir c'est ce blog, sorte d'agrégateur de blogs des collectifs disséminés dans toute la France. Il est aussi le signe d'une volonté de donner, non pas une forme (c'est un véritable fouillis ! ce blog), mais à voir la multiplicité des actions et à les coordonner.

Les évolutions possibles du mouvement sont au nombre de quatre :

  • l'émergence d'une figure représentant les collectifs

  • la « requalification » par le gouvernement des syndicats, heureux de revenir à la co-gestion responsable.

  • La naissance d'un mouvement pleinement conscient de lui même et installé dans la longue durée infusant ses idées dans la société.

  • L'essoufflement à ne rien voir venir

Les deux premières options sortiraient le conflit de son asymétrie, lui reprennant une forme classique des luttes sociales. Les deux dernières options poursuivent la logique asymétrique de la lutte où le temps devient « le nerf de la guerre ». Soit les individus portant des actions isolées les unes des autres parviendront à imprégner la société de leur combat afin d'influer sur l'opinion des français et les prochaines élections, soit ils fatigueront.

Ainsi, la réorientation de la politique éducative n'est qu'un but secondaire (qui ne s'obtient que dans un second temps). Ce qui prime, c'est de convaincre, les parents d'élèves, son voisin, sa boulangère, le gendarme, le commerçant, le petit patron...Il s'agit aussi d'interpeller les élus locaux, quel que soit leur bord, pour qu'ils se déterminent face aux choix de la politique éducative du gouvernement.

C'est par ce qu'il y a ce travail de fond que des manifestations massives sont possibles mais à la seule condition d'être perçue comme des évènements. Le mode sur lequel il faut penser les grèves et manifestations du 29 janvier est celui de l'évènement sportif ou du festival qui rassemble les individus un même jour pour une même cause. Il doit d'ailleurs se préparer comme tel. Le caractère execptionnel, dont on fait la publicité auprès d'un large public longtemps à l'avance et que de petites mains sur le terrain préparent, prime sur les raisons même de manifester. Jamais les manifestations n'ont été aussi fortes dans les petites villes signe de la volonté d'à la fois de rompre avec la tradition (manifester dans les capitales régionales) et créer la surprise dans des villes plus petites. C'est cela qui fait événement. Personne ne doit s'y tromper, le 29 janvier, les syndicats ne sont pas de retour. C'est autre chose qui se joue.

Le propre du combat asymétrique, c'est qu'il mine les fondements de l'adversaire et qu'il a besoin, aussi, d'évènements, parfois purement symboliques (telles les appels ou de rares manifestations), qui marquent les médias. L'espace qu'occupe ces mouvements est celui de l'horizontalité car leur principe premier est de se répandre dans la société. Toutefois, pour ne pas être uniquement « underground », la visibilité médiatique est essentielle. D'où la propension de Mediapart à attirer les appels en tout genre, voire les suscitant. C'est que le principe d'asymétrie est au centre du fonctionnement même de Mediapart : multitude d'expressions individuelles dans le Club et visibilité médiatique évènementielle à la Une du journal (que ce soit par un article ou par la montée en Une d'un billet de blog). Ainsi, et pour redoubler ce que je suis en train de dire, Mediapart travaille le terrain de la liberté de la presse avec son journal informatique et se donne à voir par l'organisation d'évènements.

Contre les mauvais penseurs qui estimaient certaine la mort de la démocratie avec l'avènement de l'individualisme, on assiste au renversement des principes d'actions individuelles et collectives. On peut même se risquer à décrire comment ce renversement a eu lieu au sein du premier degré. Les instituteurs étaient fortement présent au PCF. Thorez disaient d'eux qu'ils appartenaient à la petite bourgeoisie d'Etat qui trahirait la cause. On retrouva les enseignants fortement représentés dans le monde associatif plus conforme à leur idéal d'horizontalité et de co-gestion (idéal déjà présent dans les mouvements Freinet et coopératifs). Naturellement, l'implication politique de ces personnes ne peut prendre d'autre forme que celle qu'elle prend aujourd'hui.

Ainsi, c'est la capacité que chaque individu décide de mobiliser contre (parfois pour) une cause qui induit l'action collective. Mais ne nous illusions-nous pas. Ce n'est rien d'autre que ce qui s'est mis en place au moment du passé « glorieux » des luttes sociales. Des petites gens allaient distribuer des tracts au marché, organisaient des réunions, interpellaient leurs élus, désobéissaient aux ordres d'un chef...il ne se passe rein d'autres aujourd'hui, sauf qu'il n'y a plus d'organisation centralisant ces actions.

De là découle les micro-luttes sources d'une lutte sociale asymétrique. Verrons nous l'émergence d'une nouvelle forme de lutte ou est-ce l'ultime étape avant l'anomie totale au sein d'une profession ? Ce qui est certain, c'est qu'à la sortie de ce conflit, rien ne sera plus comme avant.

A venir :

Pratique du conflit asymétrique

Pour une démocratie asymétrique

Polémique avec mon député



03/03/2009
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