Déclaration d'Alain Refalo après le jugement du Tribunal administratif de Toulouse
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Après le jugement du Tribunal Administratif de Toulouse
En date du 14 mars 2013
DECLARATION D’ALAIN REFALO – Lundi 18 mars 2013
Auteur de la lettre « En conscience, je refuse d’obéir » (6 novembre 2008)
et co-initiateur du Réseau des enseignants du primaire en résistance,
aussi appelés « enseignants-désobéisseurs »
Le tribunal administratif de Toulouse vient de rendre son jugement suite à la requête que j’ai déposée le 2 juillet 2009 et à l’audience qui s’est tenue le 7 février 2013. Il a rejeté ma demande d’annulation des sanctions financières qui m’ont été infligées par l’inspection académique de la Haute-Garonne de janvier à juin 2009 consistant en 27 journées de retenues sur salaire pour faits de résistance pédagogique. Sans surprise, il confirme une jurisprudence constante qui a toujours donné raison à l’administration lors de requêtes similaires d’enseignants-désobéisseurs qui ont subi ses abus de pouvoir.
En janvier 2009, deux mois après ma lettre « En conscience, je refuse d’obéir » adressée à l’inspecteur de l’Education nationale et publiée sur le blog Résistance pédagogique pour l’avenir de l’école, et suite à plusieurs visites de contrôle, l’inspecteur d’académie me convoque sur un temps de classe. L’un de ses adjoints m’informe alors qu’il me retirera deux jours de salaire par semaine tant que je n’appliquerai pas à la lettre le dispositif de l’aide personnalisée. Sur ces deux heures, le mardi et le vendredi, de 15h30 à 16h30, avec l’accord explicite de tous les parents de la classe, j’ai mis en place un atelier théâtre pour tous les élèves, pris ensemble ou en demi-groupe selon les séances.
De janvier à juin 2009, 27 journées de salaire me seront retirés pour « service incomplètement fait », selon les mots de l’administration, sans que cette dernière ne précise clairement ce qui était fait de façon incomplète, tandis qu’elle insistait sur ce qui n’était soit disant pas fait en partie… Comme cela ne suffisait pas, en février 2009, l’inspecteur d’académie m’a refusé une promotion au grand choix à laquelle j’avais droit. Puis, en juillet 2009 il m’a traduit en commission disciplinaire et m’a infligé une sanction de catégorie 2 (abaissement d’échelon). Pour les mêmes faits de résistance pédagogique qui n’ont bien sûr jamais pénalisé mes élèves, j’ai subi trois sanctions différentes : financière, professionnelle et disciplinaire. Un acharnement qui appelle une redoutable question : l’Education nationale échappe-t-elle aux règles élémentaires du droit ? Question d’autant plus légitime que la hiérarchie s’est comportée comme un monstre froid en s’enfermant dans la voie répressive sans jamais chercher à comprendre mes motivations pédagogiques.
A la suite de la sanction disciplinaire en date du 22 juillet 2009, j’ai déposé un recours auprès du Conseil Supérieur de la Fonction Publique de l’Etat (CSFPE). Dans sa délibération du 14 octobre 2010, le CSFPE jugera « disproportionnée » cette sanction de catégorie 2 et recommandera à l’inspecteur d’académie de la transformer en blâme. L’inspecteur d’académie, toujours juge et partie, ne suivra pas cette recommandation… Il est remarquable que le CSFPE indique que « le différend qui [m’] oppose à [ma] hiérarchie […] porte non pas sur l’absence de service fait, mais sur une interprétation de l’application du nouveau dispositif sur l’aide personnalisée aux élèves en difficulté ». Elle rappelle que selon mes explications, je n’ai pas détourné la finalité de l’aide personnalisée, mais que j’en ai « simplement modifié les modalités d’exécution puisque je les ai utilisées dans le cadre de mon projet, expression de la liberté pédagogique dont je dispose. »
Cette interprétation reconnue par le CSFPE m’a permis d’adapter les modalités d’exécution de l’aide personnalisée sur les deux heures hebdomadaires en question. Il est à souligner que cette capacité de discernement de l’enseignant afin de mettre en place les dispositifs pédagogiques les plus opérationnels et les plus efficaces pour la réussite des élèves a été affirmée de façon explicite dans le préambule des nouveaux programmes de l’école primaire, institués en même temps que le dispositif de l’aide personnalisée : « Le professeur des écoles ne saurait être un simple exécutant. A partir des objectifs nationaux, il doit inventer et mettre en œuvre les situations pédagogiques qui permettront à ses élèves de réussir dans les meilleures conditions » (BO n° 3, 19 juin 2008, p. 11). Je n’ai rien fait d’autre que cela ! Je n’ai pas détourné la finalité des deux heures de l’aide personnalisée, j’en ai simplement adapté les modalités d’application dans l’intérêt des élèves, tout en gardant rigoureusement le cap sur l’objectif prévu par la loi.
Le 24 novembre 2010, en réponse à la recommandation du CSFPE, l’inspecteur d’académie m’écrit qu’il n’entend pas la suivre et qu’il refuse donc d’abaisser la sanction en blâme. Il ajoute qu’ « il semble que vous n’entendiez toujours pas revenir sur votre position de principe s’agissant de l’aide personnalisée aux élèves en difficulté que vous êtes tenu d’assurer ». Ce qui signifie que, plus d’un an après la dernière visite de mon inspecteur (octobre 2009) n’ayant pourtant donné lieu à aucune retenue de salaire, l’inspecteur d’académie est convaincu que je n’applique toujours pas le dispositif de l’aide personnalisée. Pour lui, il est donc certain que le service n’est pas fait. Cependant, il n’a fait procéder à aucune retenue de salaire pour « service non fait » ou « incomplètement fait » à ce moment-là… Contradictions et incohérences de la hiérarchie qui en vérité m’a sanctionné, non pas pour « service non fait », mais parce que le défi public de la désobéissance lui était insupportable…
Ainsi l’enseignant est face à un dilemme : appliquer à la lettre un dispositif imposé (l’aide personnalisée) sachant qu’il est inopportun et inefficace pour les élèves en difficulté ou bien user de sa liberté pédagogique dans le cadre de ce dispositif (situé, faut-il le rappeler, en dehors des heures obligatoires d’enseignement pour les élèves) au risque de se voir reprocher un service non fait pour défaut d’obéissance stricte. La hiérarchie exige des enseignants une obéissance inconditionnelle sans se préoccuper de l’efficacité du travail accompli. Ainsi, de façon absurde, des enseignants peuvent être sanctionnés pour méthodes « non conformes » alors même qu'ils viennent efficacement en aide aux élèves en difficulté, tandis que d'autres, parce que respectueux des directives, même si ce n'est parfois qu'en apparence…, ne verront jamais leur travail réellement évalué et ne seront jamais inquiétés. Il est piquant de souligner que dans sa recommandation le CSFPE remarque « qu’il n’est pas contesté que M. Refalo soit un enseignant compétent et apprécié » et « qu’il n’est relevé, dans son dossier, aucun reproche sur la qualité de son enseignement »…
Or, la hiérarchie, en l’occurrence l’inspecteur d’académie de la Haute-Garonne de l’époque, n’a pas hésité, dès le départ de cette affaire, à tenter de me culpabiliser en osant affirmer que mes élèves seraient pénalisés parce qu’ils ne bénéficieraient pas de l’aide personnalisée. En réalité, ils ont eu bien plus et bien mieux à travers l’activité théâtre, projet fédérateur qui a permis aux élèves peu motivés de retrouver un peu d’envie et de désir d’école. La hiérarchie est-elle exemplaire pour donner des leçons de morale aux enseignants confrontés sur le terrain à des difficultés qui deviennent chaque jour davantage insurmontables, tandis qu’elle est incapable de leur assurer une formation et des conditions de travail dignes de ce nom ?
Aujourd’hui, nous savons que ce dispositif de l’aide personnalisée n’est pas reconduit dans la nouvelle loi d’orientation pour l’école actuellement en débat au Parlement. L’abrogation du décret régissant ce dispositif de l’aide personnalisée était l’un de nos objectifs initiaux, dès notre Appel du 3 décembre 2008 (1). Il est atteint. Par notre résistance, nous avons largement contribué à le délégitimer. Ironie de l’histoire, les activités pédagogiques complémentaires (APC) qui remplaceront désormais l’aide personnalisée prévoient, entre autres, des activités liées au projet d’école ou au projet éducatif territorial, c’est à dire pouvant inclure des activités artistiques telles que… le théâtre (2) ! N’est-ce pas la meilleure illustration de la pertinence de ce que nous disions alors ? L’aide personnalisée est un dispositif inapproprié et inefficace pour les élèves en difficulté, surtout quand elle s’inscrit dans le cadre de la semaine de 4 jours car elle alourdit une journée de classe déjà trop longue. En réalité, ce dispositif « poudre de perlimpinpin » n’avait d’autre vocation que de supprimer l’aide spécialisée des enseignants du RASED et d’alimenter la propagande gouvernementale sur le « soutien scolaire gratuit » à l’école.
L’heure du bilan est proche et j’entends défendre ma dignité et mon intégrité face à une administration qui a abusé et continue d’abuser excessivement de son pouvoir. Ma dignité et mon intégrité, c’est d’avoir dit à haute voix ce que je pensais, au nom de la liberté d’opinion garantie aux fonctionnaires (3), et ceci malgré les rappels au fallacieux devoir de réserve (4). C’est d’avoir agi et désobéi en conscience pour ne pas être complice de dispositifs pédagogiques contraires à l’éthique de notre métier. C’est d’avoir pris le risque d’être sanctionné au nom d’une certaine idée de la responsabilité dans les missions qui me sont confiées. C’est d’avoir mis en lumière le vrai visage de la haute hiérarchie : l’arrogance, le mépris, l’autoritarisme et surtout l’incompétence. Ma dignité et mon intégrité, au final, c’est de ne pas être rentré dans le rang malgré les injonctions et les sanctions de l’administration.
Aujourd’hui, comme beaucoup de mes collègues désobéisseurs, je ne suis ni déçu, ni amer. Je ne regrette rien. Si cela était à refaire, en connaissance de cause, je le referai. J’ai tout simplement le sentiment d’un devoir accompli. Le sentiment d’avoir agi de façon éthique et responsable dans l’intérêt des élèves et pour l’avenir de l’école publique (5). La satisfaction d’avoir modestement contribué, durant ces années sarkozistes, avec des milliers de collègues en désobéissance ouverte, à entretenir l’espérance d’une école du progrès pour tous, ainsi que de nombreux citoyens nous l’ont dit ou écrit.
Je pense à cet instant aux milliers d’enseignants du primaire qui, en 2008-2009, ont pris leur plume pour crier à leur inspecteur leur révolte et surtout leur signifier leur refus d’appliquer des dispositifs qui sont et seront inévitablement abolis (aide personnalisée, programmes de 2008, évaluations nationales, stages de « remise à niveau »). Certains ont payé un prix très lourd, mais ils ont tenu bon. Notre victoire commune a d’abord été là : malgré les sanctions, nous avons continué à défendre les valeurs de l’école de la République contre les mauvais coups qui lui étaient portés par un pouvoir défendant une vision élitiste et inégalitaire de l’école. Les citoyens, les parents d’élèves le savaient bien. Ils nous ont massivement soutenus et aidés, y compris financièrement. Grâce à leur solidarité active, nous n’avons jamais courbé l’échine. Nous sommes restés debout. Là est notre honneur et notre victoire à tous.
Le 26 juillet 2012, une délégation du Réseau des enseignants du primaire en résistance a été reçue au ministère de l’Education nationale, après que nous ayons publié l’«Appel des 60 enseignants-désobéisseurs au ministre » (6), quelques semaines auparavant. Jamais un ministre n’avait daigné accorder jusqu’alors la moindre attention à nos requêtes. A nos interlocuteurs, nous avons expliqué le sens de notre combat, nous avons défendu notre vision de l’école et nous avons partagé nos propositions dans le cadre de la concertation nationale pour la refondation (7). Nous avons aussi réclamé, au nom de la reconnaissance pour notre légitime combat, au nom de la justice, la levée de toutes les sanctions prononcées contre les enseignants du primaire en résistance. Quelques semaines plus tard, nous avons écrit au ministre pour lui demander de se prononcer et d’annuler ces sanctions abusives et injustes. A ce jour, nous n’avons pas eu de réponse à cette requête.
Je voudrai terminer en affirmant une conviction profonde à la lumière de ce que j’ai vécu, de ce que nous avons vécu, en tant qu’enseignants en résistance : il n’y aura pas de changement, ni de réelle refondation de l’école, sans une réforme profonde des méthodes de la gouvernance au sein de l’administration de l’Education nationale. Combien d’enseignants se sentent méprisés par leur hiérarchie ? Combien souffrent d’abus de l’administration à leur encontre ? Combien sont désespérés par son incapacité à apporter des réponses aux difficultés qu’ils rencontrent au quotidien, et même à les entendre ? Il est temps de sortir de la verticalité omniprésente, avec ses injonctions souvent contradictoires, ses pressions multiples, ses contrôles infantilisants qui engendrent soit la soumission (le plus souvent), soit la révolte (parfois), deux attitudes qui ne peuvent servir de norme dans notre métier. Il est temps d’enrayer cette machine à fabriquer de l’obéissance et de la docilité. Il faut introduire de l’horizontalité, de l’autonomie, de la coopération et de la confiance dans les équipes pédagogiques, tout en gardant un cap national.
Cela ne se fera pas du jour au lendemain et cela ne se fera pas sans un changement profond des mentalités au sein de la hiérarchie de l’Education nationale. En ce début du XXième siècle, celle-ci ne peut plus être un Etat dans l’Etat, dont les règles ne correspondent toujours pas aux règles de droit les plus élémentaires. Il faut en finir avec les abus de l’autorité qui engendrent de la méfiance, parfois de la défiance et souvent de la désespérance chez beaucoup d’enseignants. Lors de son intervention devant le corps des inspecteurs, le 8 février dernier, Vincent Peillon a amorcé une timide avancée sur cette question en affirmant aux inspecteurs réunis que « le management ne ressemble pas à ce que nous sommes ». Il ajoutait que « nous sommes des artisans d'un idéal... ». Ce changement de discours est un premier pas qu’il convient de saluer. Cependant, il en faudra beaucoup plus pour que ce celui-ci se traduise dans des actes sur le terrain. C’est pourquoi notre vigilance demeure entière et notre capacité de résistance intacte. Y compris pour mieux servir l’idéal de la refondation de l’école comme le Réseau des enseignants du primaire en résistance l’a fait savoir il y a quelques jours à Vincent Peillon (8).
(2) Toutefois, les APC ne sont pas plus acceptables que l’aide personnalisée, car situées hors temps scolaire obligatoire pour les élèves, soumises à l’approbation des familles, et sur un temps très restreint (1h par semaine, soit 2 fois 30mn dans la plupart des écoles pour ne pas alourdir la journée scolaire), ce qui n’a pas grand sens. Il aurait fallu avoir le courage de baliser une demi-journée par semaine sur le temps obligatoire pour la mise en œuvre d’activités pédagogiques complémentaires, permettant ainsi aux équipes à faire œuvre d’imagination et de créativité pour construire des projets fédérateurs pour les élèves.
(3) Loi du 13 juillet 1983, article 6
(4) Seuls les fonctionnaires d’autorité sont astreints à une obligation de réserve.
(5) Voir nos ouvrages : « Résister et enseigner de façon éthique et responsable », Ed. Golias, 2011 et « En conscience, je refuse d’obéir. Résistance pédagogique pour l’avenir de l’école », Ed. des Ilots de Résistance, 2010.