La désobéissance civile, une radicalité constructive, par Hendatho

par Hendatho

 

Multiples sont les définitions de la désobéissance civile. Il nous semble possible de la cerner à travers sept principes essentiels qui lui donnent la cohérence éthique et la force politique nécessaires pour être légitime et efficace dans une société démocratique.

 

1. Une action collective. La désobéissance civile se distingue de l'objection de conscience, démarche individuelle, morale, mais qui n'a pas le pouvoir de contrainte. Paradoxalement, Thoreau, le précurseur de la désobéissance civile ne se situait pas sur le terrain politique où l'action collective doit s'exprimer pour tenter de faire changer les lois injustes. L'expression désobéissance civile s'applique à ceux qui agissent de façon organisée, concertée, pour « défier l'autorité établie », selon l'expression d'Hannah Arendt, et s'opposer à une politique gouvernementale qui viole les droits fondamentaux de l'homme. Cette action collective peut réunir des citoyens qui ne partagent pas forcément les mêmes convictions, mais qui sont unis sur un objectif précis et une méthode d'action.

 

2. Une action publique. A la différence de la désobéissance criminelle, la désobéissance civile se fait au grand jour, à visage découvert. Dans tous les cas, elle est assumée et revendiquée de façon à ce qu'elle ait le plus grand retentissement possible. C'est une action « publicitaire », une action de communication publique. C'est précisément son caractère public qui lui donne sa dimension politique. La publicité donnée à l'action permet de mettre en valeur les principes éthiques qui motivent ceux qui enfreignent la loi, non pas pour eux-mêmes, mais pour défendre une cause supérieure à leurs propres intérêts.

 

3. Une action non-violente. La civilité de la désobéissance s'exprime par des moyens non-violents. La violence est aussi une forme de désobéissance, de transgression. C'est pourquoi l'État sera toujours tenté de « criminaliser » la désobéissance civile, de la faire passer pour une action délinquante et violente. Le meilleur antidote à cette volonté qui dénigre et discrédite la désobéissance civile est de rester ferme, à la fois sur les moyens non-violents utilisés et sur le discours sur la non-violence. Il s'agit là d'un choix éthique autant que politique. « La désobéissance est civile, écrit Jean-Marie Muller, en ce sens qu'elle n'est pas criminelle, c'est-à-dire qu'elle respecte les principes, les règles et les exigences de la civilité. La désobéissance civile est la manière civilisée de désobéir. Elle est civile en ce sens qu'elle n'est pas violente".

 

4. Une action de contrainte. Ce n'est pas une action de « témoignage », c'est-à-dire une action pour affirmer seulement des convictions, sans se soucier de ses conséquences. C'est une action qui vise à l'efficacité politique, c'est-à-dire à tarir la source du pouvoir de l'adversaire. Il s'agit d'agir de façon à contraindre l'Etat à modifier la loi, à la changer ou à l'abolir. La stratégie de la désobéissance civile doit se donner les moyens d'exercer une force de contrainte non-violente qui oblige l'Etat à céder aux revendications du mouvement.

 

5. Une action qui s'inscrit dans la durée. De nombreuses luttes non-violentes qui ont mis en œuvre la désobéissance civile ont tenu dans la durée. L'emblématique lutte du Larzac a duré dix ans. Le pouvoir ne cède pas si facilement ! Mais c'est le choix de la non-violence qui permet de tenir, de rester ferme et uni, et finalement d'exercer une plus forte contrainte sur l'adversaire. Plus l'action dure, plus le pouvoir est enfermé dans un dilemme : laisser s'installer l'illégalité et perdre son pouvoir, ou bien exercer une répression grandissante sur les désobéisseurs, laquelle risque ensuite de se retourner contre lui.

 

6. Une action qui assume les risques de la sanction. Ceux qui enfreignent la loi, parce qu'ils sont aussi des démocrates, acceptent d'affronter les conséquences judiciaires de leurs actes. Les procès peuvent être utilisés comme des tribunes pour la cause défendue. Mais ne pas se dérober à la justice ne signifie pas forcément d'accepter la sanction finale... C'est le contexte politique qui détermine généralement l'attitude la plus opportune pour la suite de la lutte. Accepter la sanction comme Gandhi le fit lors de son premier procès en Afrique du Sud en demandant à ses juges la peine la plus lourde peut être une tactique pour marquer les esprits et sensibiliser l'opinion publique à l'injustice. Mais la bataille judiciaire peut aussi mettre en valeur le caractère citoyen de l'acte commis, sa visée anticipatrice d'une nouvelle législation à venir ; dans ce cas, la sanction devient moins acceptable. Mais dans tous les cas de figure, ceux qui enfreignent la loi ne se dérobent pas de leurs responsabilités et les assument jusque devant la justice.

 

7. Une action constructive. Pour Gandhi, ce principe était central. La désobéissance civile est une action qui s'oppose, mais qui aussi propose. Contre l'injustice de la loi, elle défend de nouveaux droits. Elle n'est pas seulement une force de contestation et de résistance, elle est aussi une force constructive au service d'un projet de société. Durant la lutte du Larzac, l'action de refus partiel de l'impôt était combinée avec une action de redistribution de l'argent soustrait à l'État pour valoriser les terres agricoles. Ainsi, les citoyens exercent un vrai pouvoir lorsqu'ils affirment leur capacité à construire des alternatives aux lois sociales injustes. Plus que jamais, le « programme constructif » est l'alter ego de l'action de non-collaboration. Il montre que l'alternative est possible et qu'elle commence dès le temps de la lutte.

 

Selon ces sept principes, la désobéissance civile s'affirme comme un outil de lutte démocratique qui permet de concilier l'exigence éthique avec la radicalité de l'action. Elle est un puissant moteur de construction du droit par les citoyens. La transgression de la loi injuste n'est pas un déni du droit, mais l'affirmation citoyenne d'un grand respect pour le droit. La désobéissance civile, paradoxalement, apparaît donc comme un temps privilégié de renforcement de la démocratie. La vitalité démocratique d'une société pourrait même se mesurer à la capacité des citoyens à enfreindre la loi dans certaines circonstances, c'est-à-dire à prendre des risques personnels et collectifs pour défendre des causes essentielles. Les lois ne sont jamais figées, elles sont en constante évolution, comme le constate François Roux, l'avocat des Faucheurs volontaires et des Déboulonneurs de pub, lorsqu'il écrit : « Tout le droit s'est construit parce que des gens ont résisté, ont désobéi à un droit qui était devenu injuste. La société se donne des règles et il inadmissible d'imaginer que ces règles soient intangibles. Le monde est en mouvement"

 

La désobéissance civile, en tant que « radicalité constructive » bien comprise, ne s'oppose pas à la démocratie, mais vise à la renforcer en structurant efficacement les nécessaires contre-pouvoirs citoyens.

 

Cependant, la désobéissance civile n'est pas une fin en soi. On n'est pas « désobéisseurs » par nature, par vocation ou par habitude... On l'est par nécessité ou par choix politique dans une situation donnée. Il importe de tenir que la désobéissance civile, en démocratie, doit garder son caractère exceptionnel, tant du point de vue des raisons qui la légitiment que du temps politique durant lequel elle est mise en œuvre. La multiplication désordonnée d'actes ou de campagnes de désobéissance civile (ou apparenté), plus ou moins organisés, pourrait, comme toute bonne chose dont on abuse, se retourner contre elle et ceux qui l'utilisent. Le débat doit être permanent durant la lutte au sein des organisations sur ce point. Dans une société démocratique, la désobéissance civile doit rester l'acte ultime, l'arme « lourde » de la stratégie de l'action non-violente, mise en œuvre une fois que tous les moyens légaux ont été tentés. C'est pourquoi le débat, la confrontation des opinions, des projets, doit demeurer l'exigence majeure dans une démocratie. Cela dépend certes du pouvoir et de sa capacité à écouter, à entendre et à décider en concertation avec les acteurs de terrain. Mais il incombe à ces derniers de maintenir, intacte et permanente, une volonté de dialogue constructif, combinée à une forte détermination pouvant aller jusqu'à la désobéissance civile lorsque les canaux de la démocratie demeurent obstinément obstrués. À ce moment-là, la légitimité de la désobéissance civile s'impose, en conscience et en acte.


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16/10/2008
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