La désobéissance est parfois un devoir, par Robert Carrière

Robert Carrière                                             Marseille, le 2 Février 2009

75A, Ch. La Carreirade,

La Valentine

13119 Saint-Savournin

 

                                                                       Monsieur Gérard Trêve,

Inspecteur d'Académie

28 bd Charles Nédelec

MARSEILLECedex 13231

 

 

 Monsieur l’Inspecteur d’Académie,

 

 

En tant que professeur de lycée à la retraite  depuis quelques semaines, je suis sidéré de voir le comportement de votre administration à l’égard de mes jeunes collègues de l’enseignement primaire, et tout particulièrement de ceux qui vous ont fait part de leur décision de ne pas mettre en application certaines « réformes » dans leurs classes. Après analyse, ces jeunes gens ont parfaitement vu les conséquences catastrophiques pour leurs élèves et pour le sérieux et l’efficacité de leur propre travail, des choix et des priorités gouvernementales en matière de services publics, et plus particulièrement d’Education Nationale. Ils ont donc courageusement décidé de rompre avec cette lourde et néfaste  tradition ancestrale de soumission aveugle à l’autorité, et décidé d’agir ouvertement en n’écoutant que leur conscience, et en faisant fi  de leur intérêt personnel et immédiat. Une telle attitude est révélatrice aussi bien de la gravité de la situation pour notre bien commun, à vous, à eux et elles, et à moi (vous ne m’en voudrez pas si je m’en considère  encore comme partie prenante) que de la générosité et de l’extraordinaire volonté qu’ils manifestent pour construire une école du respect, de la coopération, de la solidarité et de la réussite pour tous.

 

Or quelle est votre réponse à ce magnifique sursaut citoyen ? La menace,  le dénigrement et les sous-entendus mensongers. Et depuis quelques jours, vous avez cru affirmer votre autorité en imposant des sanctions totalement disproportionnées, au hasard et pour l’exemple, méthode qui rappelle quelques-uns des épisodes les plus accablants de vindicte  et d’inhumanité que notre pays ait connu dans un passé pas si lointain, hélas. Je suis désolé  de vous dire que je trouve cela parfaitement détestable, d’autant plus qu’une alternative vous était offerte en toute conformité avec les lois et les usages de la fonction publique, celle de la compréhension et du dialogue avec ses subordonnés.

 

Ce type de comportement purement répressif me paraît en parfaite adéquation avec les récentes décisions gouvernementales prises au nom d’une idéologie qui est pourtant en train de démontrer, jour après jour, son ineptie et sa nocivité. Il ne peut en effet que faire craindre le pire pour la société que nous allons léguer à nos enfants et petits-enfants. Grâce à quelques prétendus « commis » de l’Etat, élevés à cette situation par les aléas de la fortune ou la chance d’études supérieures largement subventionnées avec l’argent du contribuable, une nouvelle forme de dictature, dont Georges Orwell et quelques autres visionnaires avaient parfaitement saisi les mécanismes dès le milieu du siècle dernier, est subrepticement mais résolument en train de se mettre en place. Parmi les symptômes les plus évidents figurent le recours à la peur, les appels à la délation, le fichage généralisé de la population, la désignation de boucs-émissaires, la haine de la jeunesse, le mépris des conventions et déclarations internationales sur les droits de l’homme et des peuples, la mise en avant des prétendues valeurs d’obéissance, de travail ou de patriotisme telles que les présentaient tous les régimes dictatoriaux et réactionnaires du siècle précédent, la destruction délibérée des systèmes sociaux et services publics mis en place à la Libération, et tant d’autres …  S’il  n’est pas  encore trop tard pour réagir, le temps  nous est désormais compté.

 

C’est avec cette référence à l’urgence et  cette conscience de la gravité de la situation où nous nous trouvons tous plongés du fait de la volonté du prince que je vous demande de bien vouloir ré-examiner votre attitude envers ceux qui se nomment les « désobéisseurs ».  Je suis parfaitement persuadé qu’au fond de vous-même, vous ne pouvez que reconnaître la dignité et le sérieux de leurs convictions, et même si vous ne pouvez les approuver en public, je ne doute pas que vous conviendrez de leur courage et de leur détermination ainsi que de la justesse de leur combat. L’administration elle-même se trouve désemparée face à cette forme d’action : j’en veux pour preuve les différences iniques dans les sanctions envisagées d’une académie à l’autre (ce qui d’ailleurs ne devrait pas manquer de les faire déclarer illégales par les tribunaux), ainsi que les multiples hésitations, les volte-face, ou les silences prudents d’autres inspecteurs d’académie, et pour tout dire les doutes de votre ministère de tutelle sur l’efficacité des mesures répressives quand on voit qu’elles n’ont pour effet que de décupler le nombre et la volonté de ceux qui appuient les désobéisseurs et les rejoignent dans leurs choix et leurs combats.

 

Je vous demande donc respectueusement de bien vouloir annuler toutes les sanctions, abandonner toute attitude de menace ou d’intimidation, toute manœuvre dilatoire ou visant à créer des divisions artificielles entre ces fonctionnaires engagés dans ce combat pour des valeurs que nous défendons tous depuis le jour où nous avons choisi de travailler pour l’éducation nationale. Je vous serais en outre reconnaissant de bien vouloir transmettre auprès de vos différents supérieurs hiérarchiques les sérieuses inquiétudes que manifestent les graves décisions prises par ces hommes et ces femmes qui ont décidé de rester debout dans la tempête et d’y faire front. Il est grand temps d’engager, d’abord avec eux, qui sont quotidiennement en première ligne, mais aussi avec toutes les parties concernées (parents d’élèves, formateurs des enseignants, associations de défense des droits de l’Homme, collectivités territoriales, citoyens…) une authentique concertation sur l’avenir de l’enseignement public dans notre pays, le type de valeurs qu’il doit transmettre aux générations montantes et sur les manières d’assurer cette transmission. Je vois mal comment on pourrait faire l’économie d’une remise en question radicale de choix faits à une époque désormais révolue, celle d’avant la grande crise des systèmes ultra-libéraux qui sont en train de s’effondrer lamentablement, jour après jour, sous nos yeux, et dont les conséquences sur nos modes de vie sont encore dramatiquement sous-évaluées…

 

Confiant que vous saurez agir en adéquation avec votre conscience, et en accord avec les principes humanitaires  qui constituent le socle de notre république, je vous prie d’agréer, Monsieur l’Inspecteur d’Académie, l’assurance de toute ma considération.

 

                                                                       Robert Carrière

 



06/03/2009
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