Petit conte, drôles de comptes et mauvais calculs, par Pierre Frackowiak

Au lendemain de manifestation du 19 octobre, un texte de circonstances envoyé par Pierre Frackowiak.

Petit conte, drôles de comptes et mauvais calculs

     Dame l'Education déprimait depuis quelques années. Les nuages s'accumulaient au-dessus de sa tête. 2002 avait été une très mauvaise année, la première d'une série au cours de laquelle son moral ne cessait de se dégrader. D'aucuns, fort écoutés en haut lieu, lui répétaient qu'elle ne fabriquait que des crétins. Un comte brièvement célèbre lui imposait de revenir à « roro lave la moto de polo » pour apprendre à lire aux petits enfants. Surtout pas l'auto ni paulo, car pour le comte, il faut d'abord construire les bases et o doit être maîtrisé avant d'aborder au et l'eau. On sait bien qu'il faut d'abord apprendre à être bête pour espérer devenir intelligent plus tard.

     Un adjoint d'évêque (de Latran) réussissait à la convaincre en 2007 qu'elle n'avait fait que des bêtises depuis 30 ans, qu'elle coûtait trop cher, qu'elle produisait 15% d'élèves en difficulté en 6ème et qu'il fallait la réformer.

     Considérant que tout avait donc lamentablement échoué depuis la fin de la fin de l'agonie de la mère de Dame l'Education, communément nommée « Ecole de Jules », les princes qui la gouvernent ont décrété qu'il fallait ressusciter l'ancêtre et prendre des mesures radicales.

     On imposa de nouveaux programmes en reprenant simplement, mais pas purement, les vieux du siècle dernier. On les alourdit un peu, juste pour tenir compte de la réduction prévue du temps scolaire et de la suppression de la formation des maîtres. On répéta dans les étranges lucarnes habituées à jouer de la nostalgie que ces programmes étaient simples, de manière à obtenir 99, 67% d'opinions favorables dans les sondages d'opinions à la mode.

     Tout cela ne pouvant suffire pour réformer durablement, on décida donc de lui arracher un bras.

     « Dame l'Education, lui dit-on, ne vous inquiétez pas. Cela vous fera un peu mal. Mais après, cela ira mieux. Plus de RASED, plus de projets éducatifs locaux. On vous donnera des cachets pour apaiser la douleur : le soutien hors temps scolaire et des stages pendant les vacances qui coûteront bien moins cher que le bras et que la veste à deux manches. »

     « Pas d'objection, s'il vous plaît. Cessez de dire que ces médicaments ne sont que placebo et anti douleurs mais qu'ils ne peuvent remplacer votre bras. C'est insupportable. Vous refusez les réformes. Vous n'êtes pas loyale. Vous êtes conservatrice. Regardez : même les chefs et les sous-chefs affirment qu'il faut bien accepter d'essayer, que l'on ne peut pas refuser, que les fonctionnaires doivent fonctionner. S'il le faut, on ajoutera des scrogneugneu et des jugulaires. Rompez ! »

     C'est vrai que l'on n'avait jamais essayé. Personne n'y avait pensé.

     Retenant difficilement ses larmes, Dame Education se dit tout bas : « J'ai mal. Et jamais je ne réussirai  à faire avec un bras ce que je ne réussissais pas à faire avec deux !  »

        Des chefs se livrèrent à quelques calculs. Soutenir l'ablation des bras pourrait leur  rapporter la reconnaissance des puissants. Ils se mirent à parcourir les territoires pour battre leur coulpe : « Vous n'avez fait que des bêtises depuis 30 ans. Nous aussi d'ailleurs. Notre maître a trouvé les solutions : réduire les comptes de dépenses pour travailler mieux. » Ils se concertèrent pour déclarer qu'il fallait bien essayer « dans l'intérêt des enfants », que donner du soutien gratuit est à la fois noble et républicain, qu'ils brancheraient électrodes, prises USB, power point et statistiques pour faire comprendre que la douleur est nécessaire, que les efforts considérables qui avaient été réalisés, par exemple, en 1989/90, pour muscler les bras et les cerveaux n'avaient pas de sens…D'autres tentaient timidement de résister. Discrètement, loyauté oblige !

     Mais ce petit conte, avec ses drôles de comptes et ses mauvais calculs, n'est-il pas un conte à dormir debout ?

     Tout à fait, braves gens. D'ailleurs, on voit beaucoup de personnes endormies, debout. En scrutant un peu le paysage, on en aperçoit qui sont bien courbées et même couchées. Il est vrai que pour l'heure, on leur a laissé leurs bras pour porter leurs ordinateurs et leurs camemberts. Pour combien de temps ?

Source : Citoyens réveillons-nous ! Sauvons l'Ecole Publique !



22/10/2008
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