Lettre d'une institutrice de Belfort (90) à son inspecteur

Estelle ROUSSEAUX                                              Belfort, le 11 mars 2009

Professeur des Ecoles

E.E. Hubert Metzger

90 000 Belfort

 

à M. l'Inspecteur d’Académie du Territoire de Belfort

S/c de Monsieur l’Inspecteur de l’Education Nationale de

Belfort I

 

Objet : lettre ouverte à Monsieur l’Inspecteur d’Académie

 

Je vous écris cette lettre car aujourd'hui, en conscience, je ne peux plus me taire !

 

En tant qu’enseignante au sein de l’école publique, je suis très soucieuse et je m’interroge quant à l’avenir de notre système éducatif et au devenir des élèves les plus défavorisés.

Budget démissionnaire (6000 suppressions de postes pour près de 20 000 élèves supplémentaires attendus ; ce rythme devant se confirmer ces prochaines années), nouveaux « vieux » programmes, suppression imposée de 2 heures d'enseignement pour tous, suppression de 3000 postes RASED, suppression des enseignants mis à disposition pour les associations

complémentaires, suppression des IUFM, acharnement à discréditer la profession aux yeux des usagers, … pour ne parler que de ce qui est déjà acté.

 

Les premières victimes de cette charge sans précédent contre le service public d'éducation sont les élèves qui connaissent des difficultés scolaires, alors même que le gouvernement prétend s'en soucier prioritairement martelant l'opinion d'un discours hypocrite et populiste. À la Crise financière et économique, le gouvernement ajoute la crise de l'éducation, c'est-à-dire celle de l'avenir. Sur les épaules des plus fragiles victimes de la crise, le gouvernement fait encore

reposer le plus gros du fardeau de la crise de l'éducation.

 

Nous, enseignants, sommes évidemment les mieux placés pour constater les dégâts et les inégalités qui s'accroissent ; mais, nous sommes de plus tenus par notre hiérarchie d'organiser ce démantèlement et d'en assurer la propagande auprès des usagers en nous inscrivant dans divers dispositifs. Je qualifierais ces dispositifs de parasites de par leurs objectifs (non avoués parfois) mais également de par le surcroît de travail occasionné qui par ailleurs ne profite pas aux élèves : mise en concurrence des écoles (évaluations CE1/CM2, …), externalisation progressive des missions de l'école, mise en place de dispositifs de soutien aux élèves en difficulté, trompeurs, sans ambition et inadaptés à la plupart des difficultés scolaires : PPRE, stages de remise à niveau, aide personnalisée, …

 

Concrètement, en conscience,

 

1) Je dénonce tout dispositif qui, à la fois,

- n'apporte aucun bénéfice nouveau aux élèves

- apporte l'illusion aux parents que la situation de son enfant est mieux prise en compte

- me donne un surcroît de travail inutile

- favorise la mise en concurrence entre écoles, ou méprise les enseignants.

Dans ce cadre, je ne renseignerai plus le tableau des 108 heures, outil infantilisant et méprisant qui savamment porte la suspicion sur notre investissement et ne reconnait pas une grosse partie de notre travail investi hors «temps élèves». Je vous informerai de toutes les heures effectuées en fin d'année.

 

2) Je dénonce la disparition des RASED INDISPENSABLES pour nos élèves les plus fragiles : autant pour le suivi auprès des enfants et de leurs familles que pour leur aide précieuse quant à l’évolution de nos pratiques.

 

Quant au dispositif d' «aide personnalisée» tel qu’il est mis en place, je considère qu’il alourdit une journée déjà longue, et sert d’alibi au gouvernement pour supprimer les RASED, des postes, des heures de classe, … Malheureusement, c'est à peu près tout ce qui reste pour aider les élèves qui connaissent des difficultés. Je poursuivrai donc ce temps « externalisé » dans ma classe en l’aménageant pour accompagner les apprentissages de

certains de mes élèves ayant besoin d’une aide.

 

3) Concernant les « nouveaux programmes 2008 », je ne cèderai pas à la tentation de remplir des cases, de cocher d’une croix les notions abordées sans me soucier des réelles acquisitions des élèves. Je continuerai à construire les concepts avec les enfants en m’appuyant sur leurs observations, en stimulant leur réflexion et leur esprit critique, en favorisant les échanges au

sein de la classe. Évidemment, cela prend plus de temps qu’un « simple » cours magistral où il ne s’agit que d’écouter et acquiescer.

 

Je continuerai à gérer au mieux les exigences des programmes et les nécessaires adaptations liées aux acquisitions réelles de mes élèves.

 

Je continuerai à m'inscrire dans une approche constructiviste favorisant une pédagogie de projet et la transversalité entre les disciplines, approche qui me semble plus efficace sur l’acquisition réelle à long terme des compétences nécessaires à une bonne scolarité au collège.

 

4) Je déplore la disparition du samedi matin qui s’est fait au détriment des relations familles/école, au détriment des activités sportives, culturelles et artistiques.

 

5) Concernant l’évaluation nationale CM2, j’ai fait passer les épreuves à mes 9 élèves de CM2, j’ai complété les logiciels de saisie mis à disposition par les syndicats afin de rendre compte des résultats aux parents concernés, tout en pointant les items non travaillés dans ma classe. Sachant que ces élèves de CM2 ont été sélectionnés par l’équipe pédagogique comme étant des élèves faibles et connaissant leurs difficultés, c’est par souci de leur rythme d’acquisition des compétences de base, que je n’ai pas voulu accélérer artificiellement le rythme de travail, étant donné qu’ils ne pourraient pas transférer ses compétences plus tard.

Je n’ai donc pas transmis les résultats de ces élèves au vu des inégalités qui ont accompagné la passation des épreuves ainsi que, le risque, non démenti pour l’instant par la CNIL, de mise en concurrence des écoles, sans parler de l’évaluation de mes compétences qui pourraient être mises en cause sans aucun fondement raisonné.

 

Depuis 11 ans, date à laquelle je me suis engagée à passer le concours de professeur des écoles de la République, je suis pleinement engagée pour la réussite de tous les élèves. En toute conscience, je ne peux accepter de participer à cette destruction progressive de l’école publique.

 

Monsieur l'Inspecteur, vous l'avez compris, cette lettre n'est pas dirigée contre vous, ni votre fonction, mais je me dois de vous l'adresser et de la faire connaître. Le propre de l'esprit responsable est d'agir à visage découvert, sans faux-fuyant, en assumant les risques inhérents à cette action. C'est ce que je fais aujourd'hui.

 

Je vous prie de croire, Monsieur l'Inspecteur d'Académie du Territoire de Belfort, en l'expression de mes salutations les plus respectueuses et en mon profond dévouement au service public d'Education.

 

Estelle Rousseaux.



29/03/2009
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